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Saint Anthelme



Dernière mise à jour
le 17/02/2022

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Vitrail
(église de Neuville-les-Dames)
Baie numéro 10
Fête 26 juin, fête locale
Naissancevers l’an 1106
Mort26/06/1178
Fonctions évêque de Belley (46e)
général des Chartreux
Saints contemporains
NomNaissanceMortFonction
Bienheureux Bernard de Portes11001152évêque de Belley
saint Étienne de Bourg-en-Bresse04/01/1118fondateur de l’abbaye de Meyria
saint Huguesvers l’an 1194
saint Hugues de Grenoblevers l’an 105301/04/1132évêque de Grenoble
Bienheureux Humbert III de Savoie01/08/113604/03/1189
Bienheureux Jean d’Espagne11231160
saint Pierre de Tarentaisevers l’an 1174
saint Robert1159
saint Thomas Becket21/12/111729/12/1170
Hommes contemporains
NomNaissanceMortFonction
Adélaïde de Savoie vers l’an 1100 18/11/1154 reine des Francs
Alphonse Ier 25/07/1109 06/12/1185 roi de Portugal
Alphonse VII de Bourgogne 1059 24/05/1107 roi de Castille
Béatrix I d’Albon 1161 16/12/1228
Blanche de Charolles 1114 1181
Gueric I de Coligny1105 1161
Guichard IV 1160 1216 seigneur de Beaujeu
Henri de Bourgogne 1066 12/05/1112 comte de Portugal
Henri II 05/03/1133 06/07/1189 roi d’Angleterre
comte d’Anjou
comte du Maine
duc de Normandie
duc d’Aquitaine
Humbert I de Coligny 1080 1147
Humbert II de Colignyvers l’an 1130 1190 seigneur de Coligny
seigneur de Revermont
Humbert III de Savoie, Humbert III de Maurienne 01/08/1136 04/03/1189 comte de Savoie
Joscerand, Gauscerand 1110 sire de Beaugé
Louis VI le Gros 01/12/1081 01/08/1137 roi des Francs
Louis VII, Louis le jeune, Louis le pieux 1120 1180 roi des Francs
Philippe II 21/08/1165 14/07/1223 roi des Francs
roi de France
Renaud II 1155 sire de Beaugé
Renaud III 1180 sire de Beaugé
Ulric I vers l’an 1140 sire de Beaugé
Événements religieux
DésignationDate
Concile de Toulouse 1161
Autres événements
DésignationDate
Famine 1153

Liste des chapitres

Origine

Anthelme naquit au château de Chignin vers l’an 1106 à deux lieues de Chambéry. Son père Hardouin, gentilhomme de Savoie, était de l’ancienne maison de Migain et sa mère, d’illustre naissance.

Ses parents lui donnèrent une éducation chrétienne dès son plus jeune âge.

Dès sa plus tendre enfance, il fut très pieux. Remarquant les dispositions d’Anthelme, son père le destina au service des autels. Il fut confié à des maîtres habiles qui le formèrent, comme le jeune Samuel, à l’ombre du sanctuaire. Il mit tellement à profit leurs exemples et leurs leçons, que ses connaissances et surtout son comportement religieux devinrent rapidement admirables. Favorisé ainsi de la grâce du ciel jointe aux avantages que lui donnait sa naissance, son mérite et les charmes répandus dans sa personne et ses actions, Anthelme fut rapidement estimé et considéré par ceux qui le connaissaient ou qui entendaient parler de lui.

Informés de ses mérites, les évêques de Belley et de Genève se disputèrent ce jeune ecclésiastique et voulurent le placer au premier rang de leur chapitre. Il fut nommé sacristain de la cathédrale de Belley, principale dignité de cette cathédrale, en même temps qu’il était appelé à la prévôté du chapitre de Genève. La Providence divine lui donna plus de penchants pour la ville de Belley où il se fixa.

Ces honneurs, les dignités ecclésiastiques et les revenus qu’elles rapportaient n’altérèrent pas la candeur de son âme. Il utilisa ces produits pour recevoir ses nombreux amis. Sa table était ouverte à tous les étrangers, tant religieux que séculiers. Il les traitait honorablement et il aimait leur rendre les services qu’ils sollicitaient. Sa charité se manifestait plus particulièrement en direction des pauvres et des affligés. Aussi, sa maison était un vrai lieu d’hospitalité où les misérables trouvaient constamment de quoi soulager leurs besoins.

Sa vie était régulière et semée de bonnes œuvres, mais une espèce de dissipation aurait fini par faner la fleur de son innocence. Sans qu’il s’en aperçoive, son cœur se partageait entre Dieu et le monde. Il fut le premier à découvrir le précipice où l’entraînaient de funestes illusions. Les retours fréquents qu’il faisait sur lui-même et le vide qu’il apercevait dans son âme l’inquiétèrent. L’instabilité de la vie et de la fortune, la vanité des grandeurs de la terre devinrent des sujets de ses méditations. Il détourna ses regards du monde pour les diriger vers l’éclat de l’immortalité. Même si jusque-là, par son innocence et la chasteté de ses mœurs, il avait pu servir de modèle à des séculiers, il condamna tous les avantages de la vie aisée qu’il avait menée, comme autant de prévarications contre les lois de l’Évangile. Dès lors, il opposa la pauvreté à l’abondance, la mortification aux plaisirs, l’humiliation aux honneurs, l’obscurité à l’éclat, l’abjection à la gloire. Après avoir tout pesé, Anthelme prit la résolution de renoncer au monde et à tout ce qu’il avait aimé jusqu’alors.

En 1132, alors qu’il avait vingt-cinq ans, il se mit à visiter les monastères des environs, principalement ceux des Chartreux qui venaient de se former dans le Bugey.

Cherchant des modèles de perfection, Anthelme fit de fréquents séjours dans ces lieux tenus par ces bons et pieux ermites. Il se mêlait à leurs conversations qui rappelaient à son souvenir les actions des plus grands saints, leurs combats, leurs victoires. Peu à peu, son cœur qui brûlait déjà de l’amour de Dieu et qui était détaché des idées du monde se remplit de l’esprit d’abnégation et de renoncement évangélique. Cette ferveur reçut une nouvelle impulsion lors de son ordination qu’il reçut vers 1135 des mains du bienheureux Bernard de Portes, évêque de Belley et chartreux. Ce dernier ne manqua pas de nourrir dans ce jeune chanoine son goût pour la vie religieuse. Les exhortations réitérées de dom Bernard de Varin, prieur de Portes, rendues plus efficaces par les prières de ces fervents anachorètes, l’ébranlèrent plus fortement et la vision que Dieu lui envoya pendant son sommeil le décida à se jeter avec ces saints solitaires dans la voie de la pénitence.

Prise d’habit

Un jour, après avoir visité la chartreuse de Portes avec quelques seigneurs de son âge, il fut retenu dans la maison d’en bas, nommée Correrie (1), par Bozon, son parent, qui en était le procureur. C’était un homme d’une rare vertu et d’une sagacité admirable. Anthelme découvrit l’agitation qui accompagne les honneurs dans le monde et le calme profond qui règne dans la solitude, les folles joies du siècle et le bonheur de la retraite, le fantôme de la vaine gloire que les hommes se fatiguent à poursuivre et cette glorieuse immortalité que s’assurent les enfants de Bruno. Le tintement de la cloche qui appelait les solitaires au pied des autels tira Anthelme de son sommeil pour le livrer aux plus sérieuses réflexions. Pendant que tout priait autour de lui, il prit la résolution de se vouer aux austérités du cloître. Les espérances de la terre ne lui parurent plus que comme un songe qui se dissipait avec les ombres de la nuit. Dès le matin, il remonta au monastère et demanda à être reçu au nombre des religieux. Les portes lui furent ouvertes avec empressement. Il s’y précipita en s’écriant : Hæc requies mea in sœculum sœcuti; hic habitabo, quoniam elegi eam. C’est ici le lieu de mon repos ; j’y demeurerai éternellement, parce que je l’ai choisi. (Ps. 131, v. 14.) Persuadé que lorsqu’on a mis la main à la charrue, il ne faut pas regarder en arrière, de peur de n’être pas digne du royaume des cieux, il laissa le monde et toutes les idées du monde et refusa même d’y rentrer pour régler ses affaires temporelles. Il confia le soin de distribuer ses biens aux pauvres à ses amis désolés de sa résolution. Il reçut l’habit de chartreux avec une grande ferveur en 1137. Il devint rapidement le modèle de tous les anachorètes et les devança dans la carrière de la pénitence et de la piété.

Dans ce nouvel Horeb, Dieu rassemble ses élus pour leur parler au cœur et les combler de ses grâces. Il s’y renferme avec la nation sainte qu’il s’est choisie pour être son seul nourricier et son guide et lui faciliter le chemin du ciel par l’exemption des embarras du monde. C’est sur cette montagne qu’Anthelme allait se sanctifier par la prière et les autres exercices du cloître pour venir ensuite dans la plaine combattre les ennemis du Seigneur. N’étant plus occupé dans sa cellule qu’à remercier Dieu de ses miséricordes, Anthelme se prépara au pied de la croix et dans l’observance des règles à faire solennellement les vœux de pauvreté, d’abnégation, de chasteté, d’obéissance, qu’il prononça effectivement peu de temps après.

Reconstruction de la grande chartreuse

Sur ces entrefaites, un éboulement de neige, entraînant dans sa chute des rochers énormes, détruisit presque en entier les cellules de la grande chartreuse de Grenoble et tua plusieurs religieux (2). Hugues Ier avait accueilli saint Bruno et ses compagnons. Son successeur en tant qu’évêque de Grenoble, Hugues II (3), touché de ce funeste accident, demanda Anthelme pour venir relever ces ruines et réparer un tel désastre. Ce pieux anachorète, qui en entrant dans le cloître avait renoncé à sa volonté pour ne faire que celle de ses supérieurs, ne fit aucune résistance et se mit en route.

La vue de cette chartreuse, environnée de noires forêts, hérissée de glaces et de frimas, entrecoupée de précipices que le soleil n’éclaire jamais, dont le silence n’est troublé que par la violence des orages, le bruit des torrents qui se précipitent et les cris effrayants des animaux sauvages, ne le déconcerta pas. Les pas de saint Bruno encore visible dans ce désert et le souvenir de ses vertus enflammèrent son zèle. Il chercha à imiter ce saint. Comme lui, il s’imposa toutes sortes de mortifications. Comme lui, absorbé dans la méditation, il avait toujours les yeux fixés sur Jésus-Christ crucifié. Il désirait vivre en imitant son divin Sauveur souffrant. Il regretta les moments de repos. Les austérités habituelles qu’il s’infligea jusqu’à sa mort furent d’être continuellement occupé, de jeûner très fréquemment en ne mangeant qu’un peu de pain en dernier recours. Un affreux cilice lui occasionnait de nombreuses plaies. La terre était toujours trempée de ses larmes. Sa cellule était inondée de son sang qui coulait à cause des instruments de ses pénitences. Il passait les journées à converser avec Dieu dans la prière, à chanter ses louanges. Comme dans le cas de saint Antoine, souvent, le soleil en se levant le trouvait prosterné à l’endroit où il l’avait vu la veille en se couchant, offrant à Dieu les travaux de sa journée. Au chœur, à l’autel, son port avait quelque chose de divin. Il était visible que les mouvements rapides de son cœur l’emportaient sans cesse vers le ciel.

Toujours soumis aux ordres de ses supérieurs, il fut établi procureur de la Grande-Chartreuse en 1138. Il s’acquitta de ses pénibles fonctions avec prudence et efficacité. Il assura l’approvisionnement de la maison, veilla à l’économie et distribua des vivres et des vêtements. Il secourut les malheureux qui venaient au monastère demander l’aumône et il les instruisit. Il consola ceux qui étaient dans l’affliction. Il pourvut à tout ce qui était nécessaire au-dedans et au-dehors. Ces fonctions ne l’empêchèrent pas de suivre la règle de la communauté et ne le détournèrent jamais de la présence divine. Sachant que l’oisiveté est la source de beaucoup de vices, il utilisait tous les instants que lui laissaient la prière et ses occupations multiples pour réaliser des travaux manuels. Il rentrait ensuite dans sa chère cellule où, dans le silence et la méditation, il puisait les forces nécessaires pour triompher de toutes les difficultés et de tous les ennuis que lui causaient les affaires temporelles.

Septième prieur

Par cet emploi, Anthelme révéla à ses supérieurs qu’il était destiné à devenir le flambeau de son ordre. À peine âgé de trente-trois ans, il fut jugé digne d’en occuper la première charge. Hugues Ier, successeur du bienheureux Dom Guigue (4), se démit volontairement de sa charge pour vaquer librement à l’oraison et à la contemplation. Il désira être remplacé par Anthelme dont il connaissait les talents et la piété. Vers la fin de l’année 1139, Anthelme fut élu septième prieur de la Grande Chartreuse. Revêtu de cette dignité que son obéissance ne lui permit pas de refuser, il s’attaqua aux abus. Plusieurs s’étaient introduits dans la maison à la suite de l’éboulement qui avait détruit une partie des bâtiments et tué un grand nombre de religieux. Quelques-uns le trouvèrent sévère, mais tous se félicitèrent rapidement de l’avoir pour supérieur parce qu’il était vraiment l’œil de l’aveugle, le bras de l’infirme et le pied du boiteux. Il avait pour tous les soins d’un père et les entrailles d’une mère. Il se faisait tout à tous pour les entraîner avec lui à la suite de Jésus Christ. Il les consolait dans leurs peines, éclaircissait leurs doutes, les fortifiait par ses exemples et ses leçons, les encourageait à la vertu et leur servait de guide dans tous les exercices de la piété dont il était une leçon vivante. Il veillait à tous leurs besoins de l’âme et du corps ; de sorte qu’il pouvait dire avec saint Paul : « Qui donc faiblit, sans que je partage sa faiblesse ? Qui vient à tomber, sans que cela me brûle ? » (5) ? Fidèle imitateur des vertus de Dom Guigue et de Hugues Ier, ses deux vénérables prédécesseurs, Anthelme s’efforça de marcher sur leurs traces en imitant leurs vertus. Par son zèle, il affermit dans son ordre cette régularité qui fit la gloire des enfants de saint Bruno pendant huit siècles.

Ce fut à cette époque que les chartreuses, par les soins d’Anthelme, se multiplièrent en France et à l’étranger avec tant de rapidité. Il en fonda de nouvelles et fit adopter à toutes ces maisons qu’il dirigeait par ses conseils, les statuts dressés par le bienheureux Dom Guigue. Auparavant, les chartreuses avaient été indépendantes les unes des autres et soumises aux évêques diocésains. (6) Il assembla un chapitre général qui fut le premier de l’ordre où se réunirent tous les prieurs. Celui de Chartreuse fut reconnu comme chef des autres maisons. Anthelme est le premier général des chartreux alors qu’il n’est que le septième prieur de la chartreuse de Grenoble.

Les chartreusines

Sous la direction d’Anthelme, l’ordre de Saint-Bruno acquit une grande réputation et devint un des plus célèbres et des plus fervents de cette époque. Sollicité par des femmes qui voulaient vivre en communauté sous la règle de saint Bruno, Anthelme chargea le bienheureux Jean l’Espagnol (7) de leur rédiger des statuts. Ce fut là l’origine des chartreusines qui disparurent à la suite de la révolution en 1792 (8). La fondation des religieuses de Saint-Bruno est l’une des plus grandes des œuvres de saint Anthelme.

Saint Anthelme ne se contentait pas du seul soin des religieux et des religieuses de ces monastères, il accueillait aussi tous les étrangers qui venaient visiter le sien. Après avoir subvenu à leurs besoins matériels, il leur donnait les instructions très touchantes et très persuasives. L’ascendant qu’il avait acquis par ses vertus, le rang distingué qu’il occupait et le respect qu’on avait pour lui donnaient du poids à ses exhortations. Ses prières les faisaient fructifier. Un grand nombre de chrétiens, touchés de ses discours, lui durent leur salut. Parmi les convertis, il eut la consolation de compter son père, l’un de ses frères qui s’était fait un nom en terre sainte en tant que croisés, et l’illustre Guillaume, comte de Nivernois. Tous trois quittèrent l’habit séculier pour le suivre. Son autre frère l’avait précédé lui-même à la Chartreuse. Heureuse conformité entre Anthelme et l’abbé de Clairvaux  ! (9)

Il étendit aussi les limites du monastère en défrichant des bois qui lui furent concédés. Il ajouta de nouvelles constructions aux anciennes, les environna d’un mur de clôture, fit établir des aqueducs pour y amener des eaux de très loin, prit soin des fermes, des bergeries, et généralement de tout ce qui dépendait de cette communauté.

La tromperie

Le siège épiscopal de Grenoble vint à vaquer. L’élection d’un nouveau prélat donna lieu à des divisions qui éclatèrent dans tout le diocèse. Les chartreux crurent devoir prendre parti sans doute parce que l’évêque défunt et l’évêque élu appartenaient à leur ordre. Quoi qu’il en soit, sous prétexte de porter l’affaire au pape, quelques ennemis de la sévère discipline d’Anthelme, sortirent du couvent et, par de faux exposés, trompèrent Eugène III. Ils l’indisposèrent contre leur général. Saint Bernard, abbé de Clairvaux, qui connaissait ses vertus et qui s’intéressait beaucoup aux Chartreux, s’empressa d’écrire la lettre suivante au pape pour l’informer de la vérité et blâmer la conduite des calomniateurs.

Lettre de Saint Bernard

« Nos persécuteurs ne dorment ni ne s’assoupissent. Ils ont depuis peu recommencé leurs poursuites dans les montagnes ; ils ont tendu leurs pièges dans le désert. Les chartreux ont senti du trouble ; ils ont été agités et chancelaient comme un homme ivre. Presque toute leur sagesse s’est évanouie. Voilà, seigneur, l’ouvrage de l’homme ennemi et non seulement ce qu’il a fait, mais ce qu’il fait encore. Il espère encore dévorer toute leur sainteté ; ce serait pour lui, comme vous savez, une nourriture exquise. Il en a déjà rendu quelques-uns prévaricateurs et il s’en sert pour attaquer dans une guerre domestique ceux qu’il n’a pu vaincre par lui-même. Depuis la fondation de ce monastère et de cet ordre, l’on n’a jamais ouï dire qu’aucun déserteur n’y soit rentré sans avoir fait satisfaction ; mais aujourd’hui ceux qui étaient mal sortis sont encore rentrés plus mal, et n’ont fait qu’ajouter à leur première sédition. — Que pensez-vous, très Saint-Père, que feront des gens sortis de leur monastère en violant les règles et qui n’y reviennent que par orgueil ? Leur orgueil s’accroît même à tout moment. Ils se félicitent de la conduite détestable qu’ils ont tenue et ils insultent à ceux qui sont outragés. Ils ont vaincu, et ils triomphent. Le prieur n’est plus prieur. Plus l’impie s’élève et plus le pauvre est persécuté. Aussi veut-il s’en aller à son tour pour ne pas voir la destruction de son monastère : il serait déjà sorti s’il pouvait sortir tout seul. Ce prieur est assurément homme de bien, car, à ce que j’ai ouï dire à des gens de vertu, ceux dont il suit les conseils sont très vertueux et très sages. — Vous voyez, mon très Saint-Père, combien on vous a surpris. L’auteur de la surprise n’en sera-t-il pas puni comme il mérite ? Qui que ce puisse être, ou je ne vous connais pas bien, ou il en portera la peine. Ils vous ont été trouvés dans un habit régulier et couvert de vêtements de brebis. L’apparence vous a séduit, mais faut-il s’en étonner et n’êtes-vous pas un homme ? Maintenant que la fourberie est mise au jour, votre zèle doit éclater et soutenir courageusement les intérêts de la vérité contre les impies. Ne vous laissez pas surprendre à leurs sentiments et que le conseil d’Achitopel soit dissipé. Prenez garde à vous-même. Il y a bien plus de danger à laisser endormir son zèle qu’à laisser surprendre son discernement. L’un s’excuse par l’ignorance, mais la négligence rend l’autre inexcusable. Si par hasard quelqu’un d’un parti contraire tâche de vous persuader autre chose, que l’impiété se démente elle-même et ne tombe pas sur mon seigneur. — L’affaire est comme je vous la rapporte et je vous dis la vérité. Rien n’est plus agréable, ni plus juste dans tous vos jugements lorsqu’il s’offre des occasions semblables que de voir celui qui voulait faire le mal tomber dans la fosse qu’il a creusée, de voir la douleur qu’il a voulu causer retourner sur lui-même et son injustice retomber sur sa tête. Le zèle pour les intérêts de Dieu fera ce grand bien et le vénérable prieur, comme je l’espère, continuera toujours de l’être afin que l’impiété ne se puisse glorifier, car nous aurions grand sujet de craindre si ce prieur n’était pas rétabli que ce monastère ne demeurât pas dans l’état où il est. Daigne le Seigneur vous inspirer de recevoir en paix ce que je vous mande et de faire une favorable réponse pour nous consoler dans la désolation où nous sommes tous. »

Démission et conseils

L’innocence d’Anthelme ne tarda pas à être reconnue, mais cet événement qui allait lui donner un surcroît d’autorité, ne fit que réveiller le dessein qu’il avait formé depuis plusieurs années de travailler à son salut en obéissant. Il se démit donc du généralat en 1152 après douze ans d’une pénible administration. Il fut remplacé par Bazile de Bourgogne (10) que sa piété et ses lumières semblaient avoir préparé. Anthelme, pensant qu’il n’aurait plus à s’occuper que de son salut, se remit avec bonheur au rang des simples profès. Cet ancien général des chartreux pratiqua la règle avec la simplicité du dernier religieux et s’efforça de regagner par la ferveur le temps qu’il prétendait avoir perdu dans la sollicitude des affaires ! Mais malgré son goût qui lui faisait préférer la dernière place, sa sagesse et ses lumières ne lui permirent pas de vivre retiré au fond de sa cellule. Il était souvent appelé au conseil de son successeur. Il y donnait ses avis avec modestie et presque toujours ils prévalaient parce qu’ils étaient empreints de sagesse et d’expérience. Peu de temps après, Dom Bernard de Varin, prieur de Portes, âgé et désirant abandonner sa charge pour se préparer dans le recueillement à la rencontre avec le souverain Juge de sa longue administration, supplia Anthelme de venir lui succéder. Anthelme ne pouvait rien refuser à Don Varin dont les conseils et les prières l’avaient arraché du monde pour l’attirer dans la solitude. D’ailleurs, il avait bâti en grande partie la chartreuse de Portes, et il conserva toujours de l’attachement pour cette maison. L’empressement de revoir les lieux où il avait entendu la voix du ciel l’appeler à la pénitence, adoucit encore le sacrifice qu’il faisait de son état d’abjection pour aller de nouveau commander des religieux, lui qui s’était accoutumé depuis longtemps à les regarder tous comme ses maîtres.

Prieur de Portes

Ce fut à Portes comme à la Grande-Chartreuse, le même zèle, la même conduite, la même administration et le même succès. La sage gestion de son prédécesseur avait considérablement enrichi cette communauté. En prenant ses nouvelles fonctions en 1153, Anthelme distribua aux différentes maisons de son ordre le superflu qu’il y trouva soit en argent, soit en grains ou en autres provisions. Il donna des vases et des ornements aux églises qui n’en avaient pas de convenables pour que les célébrations soient dignes.

La famine

Cette année-là, un fléau ravagea et détruisit toutes les espérances des habitants des montagnes du Bugey. La famine et les maux qu’elle traîne à sa suite les avaient alarmés et désespérés. Anthelme ne put résister face à ce malheur. Il distribua de blé aux pauvres pour soulager leurs besoins les plus pressants et ordonna d’en prêter sur parole à tous les laboureurs pour ensemencer leurs terres.

Entendant parler des distributions d’Anthelme, les habitants des campagnes accoururent de tous côtés et bientôt les greniers furent épuisés. On lui en fit le rapport, mais il répondit en ordonnant de continuer les aumônes. Le procureur se fit répéter deux fois cet ordre et finit par dire qu’il ne restait plus rien à donner. Plein de confiance en celui qui nourrit les oiseaux du ciel et qui donne aux fleurs leur parure, Anthelme insista et lui dit : « Allez donc faire des distributions aux pauvres. » Quel ne fut pas l’étonnement de ce religieux en voyant le blé regorger de toutes parts ? Ce bienfait prodigieux de la Providence, attesté par le témoignage des chartreux et d’un grand nombre de personnes secouru, mit saint Anthelme à même de continuer ses libéralités jusqu’au moment de la récolte (11).

Ainsi Anthelme sauva cette contrée des horreurs de la famine. Ainsi ce prudent économe sut tirer parti de la surabondance des biens de ce couvent pour se créer des trésors dans le ciel, là où il n’y a pas de mites ni de vers qui dévorent, pas de voleurs qui percent les murs pour voler (12).

Les malheureux furent toujours, après Dieu, les plus chers objets de sa tendresse. Il s’était fait un devoir de les soulager. Il ne pouvait les voir languir dans la misère sans la partager et sans la ressentir peut-être plus qu’eux-mêmes. Il ne s’en tenait pas à l’aumône qui met à l’abri du besoin un corps périssable, il instruisait les pauvres et leur donnait le précieux dépôt de la foi.

Accueil de l’archevêque de Lyon

L’événement qui suit fait encore plus ressortir la charité d’Anthelme. Alors que Frédéric Ier, surnommé Barberousse, était à Arbois en Bourgogne, Héraclius de Montboisier (13), archevêque de Lyon, vint lui rendre hommage. Pour lui montrer comme il était satisfait de cette démarche, l’empereur d’Allemagne lui donna l’investiture du temporel de son Église et lui en confirma la souveraineté. Les comtes du Forez prirent aussi le titre de comtes du Lyonnais. Guy II, qui possédait alors ce comté, affirmant que l’empereur n’avait pas le droit de disposer de ce qui ne lui appartenait pas, se jeta dans Lyon les armes à la main. Il livra la ville au pillage de ses soldats et détruisit en grande partie les édifices qui appartenaient au clergé. Pris au dépourvu, Héraclius, suivi des ecclésiastiques et des magistrats de Lyon, n’eut que le temps de fuir et de se réfugier à la chartreuse de Portes.

Anthelme accueillit ces fugitifs avec cordialité et distinction. Il les consola et leur fournit tout ce qui leur était nécessaire. Il semblait avoir à sa disposition les trésors de la Providence. Le bien des malheureux se multipliait entre ses mains. L’archevêque, avec sa suite, demeura à Portes sur les sollicitations pressantes d’Anthelme, tout le temps qu’il fallut pour se mettre en mesure de recouvrer sa ville, où il rentra aux acclamations du peuple, de la noblesse et du clergé.

Retour à la Grande Chartreuse

Les pénibles fonctions d’Anthelme qu’il n’avait acceptées que par obéissance et par attachement à la chartreuse de Portes ne lui laissaient pas assez de temps pour vaquer à ses exercices religieux. Deux ans s’étant à peine écoulés, il se démit de la fonction de prieur et retourna à la Grande-Chartreuse en 1155. Il s’y sanctifiait dans sa solitude, quand tout à coup la chaire du vicaire de Jésus Christ fut environnée d’une odieuse faction. Anthelme signala le danger.

Élection du pape Alexandre III

Adrien IV venant de mourir, les cardinaux, le clergé et le peuple portèrent le modeste et pieux Roland, chancelier de l’Église romaine, sur le trône pontifical. Il fut proclamé sous le nom d’Alexandre III, le 7 septembre 1159.

L’ambitieux et indigne Octavien, élu seulement par deux cardinaux, était soutenu par Frédéric Barberousse dont il était disposé à favoriser les vues ambitieuses et sa prétendue autorité sur le patrimoine de saint Pierre (14). Lorsqu’il n’était que chancelier romain, Alexandre III avait au contraire combattu l’ambition de l’empereur en soutenant les intérêts du pape. Au moment de l’intronisation du pontife légitime, Octavien, dépité, lui enleva la chape d’écarlate qui est le signe de l’investiture et s’en revêtit lui-même si précipitamment que le devant se trouva derrière, ce qui le fit nommer : Pape à rebours avec de grands éclats de rire.

Cependant le schisme faisait des progrès en Italie et en Allemagne. Les évêques fidèles étaient chassés de leur siège. Milan et plusieurs autres villes furent ruinées par l’empereur à cause de leur attachement à Alexandre. Les factions s’enflammèrent, et le pape légitime se réfugia en France où il trouva asile (15) et des cœurs dévoués. Un concile fut convoqué à Toulouse en 1161. Le roi d’Angleterre, celui de France, plus de cent évêques, un grand nombre de seigneurs des deux nations et plusieurs cardinaux qui s’y rendirent se déclarèrent pour Alexandre et anathématisèrent Octavien.

À cette époque, les nombreuses maisons de Saint-Bruno et de Saint-Benoît exerçaient une grande influence dans l’Église. Anthelme, aidé de Geofroy (16), abbé d’Hautecombe (17) de l’ordre de Cîteaux, homme savant et éloquent, fit entendre sa voix persuasive. L’un et l’autre écrivirent aux abbés qui ne savaient quel parti prendre et les instruisirent sur la légitime élection d’Alexandre III qui fut aussitôt reconnue en France, en Angleterre, en Espagne. Le schisme fut fini et l’Église fut sauvée par les soins d’Anthelme.

Les schismes

Les fidèles sont étonnés et quelquefois même scandalisés des schismes et des hérésies qui s’élèvent dans l’Église. L’apôtre saint Paul, en nous annonçant qu’il est nécessaire qu’il y ait des hérésies, nous en donne la raison (18). Il dit qu’il faut bien qu’il y ait parmi vous des groupes qui s’opposent, afin qu’on reconnaisse ceux d’entre vous qui ont une valeur éprouvée, ceux qui tiennent à la religion d’une manière tout humaine et ceux qui aiment Dieu de tout leur cœur et par-dessus tout (19).

L’empereur conçut contre Anthelme une violente haine, mais ce prince revint à la raison, abandonna ses préventions et soutint plus tard l’évêque de Belley et son Église.

Reconnaissance

Après avoir apaisé les agitations de l’Église, Anthelme resta caché dans la solitude. Cependant sa réputation attira autour de lui un grand nombre de personnes : des prêtres, des évêques, des savants même, qui venaient solliciter des conseils pour se conduire saintement dans le monde. Louis VII, roi de France, jaloux de témoigner à Anthelme sa reconnaissance pour ce qu’il avait fait en faveur d’une si belle cause, vint, à son retour du concile de Toulouse, le visiter dans son désert, accompagné de sa cour et des seigneurs voisins. Il voulut voir ce que le cloître avait de plus parfait et le sacerdoce de plus respectable.

Quel tableau ! D’un côté, tout ce que le monde a de plus grand, les richesses, la puissance et la pompe du maître de la première nation de l’univers, de l’autre, la pauvreté, l’humilité, la pénitence des Paul, des Hilarion et des Antoine. Quel est l’homme qui doit fixer nos regards dans ce tableau ? Lequel nous paraît plus grand : celui qui possède toutes les richesses et dont les désirs ne sont jamais satisfaits ou celui qui a renoncé aux richesses et qui ne connaît pas de besoins ? De Louis le Jeune (20) qui n’a pas assez d’argent pour pousser ses conquêtes en l’Orient ou Anthelme qui fait la conquête du ciel par ses larmes, sa pénitence et ses aumônes ? Quel est le cœur le plus noble : celui qui croit n’avoir jamais reçu assez d’éloges ou celui qui, pénétré de son néant, se venge des hommages qu’on lui rend par les humiliations qu’il se procure ? Quel est le héros : celui que la mort va bientôt mettre au niveau du dernier de ses sujets et ensevelir dans l’oubli en lui ravissant sa couronne mortelle ou celui qui est grand par lui-même et que la mort ne fera que couronner dans le ciel tandis que sa dépouille mortelle recevra l’encens des chrétiens qui n’est que la figure de la bonne odeur de ses vertus ?

Tel est le contraste qu’offrit la montagne de Chartreuse au moment où ce désert renfermait les deux extrêmes de la richesse et de la pauvreté, de la puissance et de l’abaissement.

Évêque de Belley

Anthelme fut cependant touché, mais non enorgueilli de cette faveur. Ne considérant que Dieu comme grand, il fut moins frappé par l’éclat de cette seconde majesté que le souverain lui-même ne fut étonné de l’humilité du saint. Le roi se retira en chantant les louanges du saint chartreux dans les mêmes termes que la reine de Saba redisait celles de Salomon. Les échos des montagnes semblaient les répéter et trahirent les vertus et les pénitences qu’Anthelme ne confiait qu’à leurs grottes profondes pour les soustraire aux louanges des hommes. Elles arrivèrent aux oreilles des pères, qui pleuraient dans la mort de Ponce III (21) un illustre prélat. Deux compétiteurs portaient les yeux sur ce siège vacant : un moine, et un jeune noble que son parti avait déjà mis en possession de la maison épiscopale. Ce dernier était parent d’Anthelme. Mais Dieu veillait sur ce diocèse. Il tira de dessous le boisseau une lampe dont l’éclat fixa tous les yeux et tous les désirs vers le Solitaire dont on se rappela la science et la piété qui avaient déjà été admirées pendant qu’il était chanoine de Belley. Le peuple le demanda, l’ordre ecclésiastique lui tendit les bras. Les deux compétiteurs furent même les premiers à donner leur consentement. Comme on savait qu’il serait très difficile de le tirer de sa solitude, on députa vers le pape Alexandre qui, plein de joie, se félicita d’avoir différé son choix entre les deux sujets qu’on lui avait présentés. Il écrivit à Anthelme, lui ordonnant par l’autorité du Saint-Siège, de se charger de l’Église de Belley. Il manda au prieur et aux religieux de la Grande-Chartreuse de le donner aux députés qui le demanderaient et, s’il refusait d’accepter, de l’y contraindre par autorité.

Mais Anthelme, malgré les actions héroïques qui lui avaient appris, pour ainsi dire, à disposer de la puissance de Dieu, malgré la longue expérience des affaires qu’il avait acquise, malgré les vertus qu’il avait retirées de ses pénitences, trembla et frémit à l’idée d’une telle dignité. Il prit la fuite comme le firent saint Ambroise et saint Grégoire. Les chartreux le cherchèrent et finirent par le trouver. L’ayant amené non sans peine devant la communauté assemblée, ils lui exposèrent l’ordre du pape et lui montrèrent ses lettres. Le prieur y ajouta son commandement, les religieux, leurs exhortations, les députés, leurs prières au nom de toute l’Église de Belley, mais Anthelme continua à refuser avec fermeté en protestant qu’il ne sortirait jamais de son désert. Enfin, par un pieux artifice, on lui proposa soit d’obéir au pape et d’accepter, soit d’aller rencontrer le pape même qui, disaient-ils, connaissant sa résolution, ne le brusquerait pas. Flatté de cette espérance, il se mit en chemin, mais les députés se gardèrent bien de le quitter. Quand il fut arrivé auprès du pape Alexandre qui était alors à Bourges, il fut reçu avec honneur par lui et par toute sa cour. Ils le connaissaient pour un homme d’un rare mérite. Pendant l’audience avec le pape, il lui dit qu’il n’était venu que pour lui demander une grâce et le prier de ne pas le contraindre à faire ce qui n’était avantageux ni à lui-même ni à l’Église qui le demandait. Il ajouta qu’il était un ignorant, un homme sans expérience, un misérable, enfin, qu’il avait fait vœu de ne pas sortir de son désert.

Le pape lui répondit : « Mon fils, ne prétendez pas nous en imposer par de mauvaises excuses ; nous connaissons vos talents, pourquoi vous découragez-vous ? Il faut obéir. Je ne me dédirai pas de ce que j’ai écrit. Vous avez promis de renoncer à vous-même et de suivre Jésus Christ. Il faut donc l’imiter en son obéissance et renoncer à votre propre volonté (22). »

Le pape le confondit par ces paroles et d’autres semblables. Il le contraignit ainsi à garder le silence. Ensuite il l’ordonna solennellement de sa main le jour de la Nativité de la Sainte Vierge qui, en 1163, était un dimanche (23). Le pape le retint quelques jours auprès de lui. Comme les prélats de la cour de Rome s’entretenaient familièrement de diverses choses avec Anthelme, il citait souvent l’Écriture sainte avec à-propos, ce qui leur fit dire dans l’admiration de sa science et de sa piété : « Est-il donc si ignorant qu’il voulait nous le persuader lorsqu’il refusait les honneurs de l’épiscopat ? » Le nouvel évêque demanda son congé rapidement. À son départ, le pape lui donna sa bénédiction et le combla de présents.

Anthelme, qui avait enfin reconnu la voix de Dieu dans la volonté du vicaire de Jésus Christ, n’éprouvait plus d’autre désir que celui de se rendre au milieu de son troupeau. À peine arrivait-il aux frontières de son diocèse, que le clergé, la noblesse et le peuple accoururent à sa rencontre. Il fut reçu comme un ange venant du ciel et il entra dans la ville de Belley au milieu des acclamations d’une joie universelle. Les honneurs ne le changèrent pas, il fut tel dans son palais qu’il s’était montré dans sa cellule. L’éclat qui l’environna ne put altérer son goût pour la simplicité. Ses habits, son habitation (24), son lit, sa table, l’office qu’il récitait au chœur avec ses chanoines, le saint sacrifice qu’il offrait tous les jours, le règlement qu’il avait établi dans sa maison pour répartir le temps entre la prière et les autres occupations, ses veilles, ses jeûnes et ses autres mortifications lui rappelaient sa chère solitude. Zélé sans indiscrétion, ferme sans rigueur, pieux sans affectation, il conserva toujours la sainte liberté d’un ministre du ciel, sans perdre le respect qu’il devait aux grands de la terre. S’il eut des contestations avec Frédéric Ier et le prince Humbert, ce fut toujours l’évêque qui soutint les droits de Dieu, tandis que le sujet rendait à César ce qui appartenait à César. Aussi, obtint-il plus tard des faveurs de Barberousse dont il força l’estime et l’affection. Il ne tira aucun profit personnel des dispositions bienveillantes de l’empereur. Il les fit tourner au profit de son Église, et toujours il en conserva la plus vive reconnaissance. La lettre qu’il écrivit à Louis VII pour le remercier de sa visite dans sa retraite montre tout le respect qu’il avait pour les dépositaires de la puissance temporelle, en même temps qu’elle respire la plus tendre charité et fait connaître toute la candeur de son âme :

« Depuis que Votre Majesté, illustre prince, a daigné visiter en personne l’humble chartreuse, nous avons conçu pour elle au fond de notre âme la plus tendre affection. Vous êtes passé, pour ainsi dire, dans notre cœur, et il ne serait pas facile de vous en arracher. Aujourd’hui que, par la volonté ou par la permission de Dieu, nous avons été élu évêque de Belley, vous êtes toujours présent à notre mémoire dans nos oraisons et nous adressons à Dieu de ferventes prières pour vous et pour la prospérité de votre règne. Nous prions Votre Majesté de croire que nous payons ce tribut à votre personne plutôt qu’aux faveurs dont elle nous a comblés. Nous souhaitons que vous pratiquiez la miséricorde, la justice, la bonté, la mansuétude qui font l’ornement d’un grand roi. Du reste, nous supplions Votre Majesté de vouloir bien, par amour pour Dieu et pour nous, accorder sa protection à l’un de nos neveux qui fait ses études à Paris, afin qu’il ne lui manque rien et qu’il soit sage (25). »

On voit par cette lettre de quel crédit Anthelme jouissait auprès du roi de France puisqu’il va jusqu’à lui recommander son neveu qui était à Paris. Quoique comblé des faveurs du pape et des rois, il fut toujours simple, modeste, éloigné des intrigues du monde et appliqué au bonheur de ses ouailles.

Lors de l’installation d’Anthelme sur le siège épiscopal de Belley, la religion était dans l’état le plus déplorable. Les ombres de l’ignorance s’y étaient répandues et avaient enveloppé la province. À la faveur de ces ténèbres, le vice faisait des progrès effrayants. Pour les dissiper, Anthelme commença par inviter son clergé à la retraite. Il mit dans le cœur des ministres de l’Évangile cette ardeur charitable qui doit les faire travailler ensuite avec intrépidité au salut des âmes. Il découvrit à ses prêtres avec des termes pleins d’élévation la sublimité de leur ministère et toute la sainteté qu’il exige d’eux. Ainsi il les transforma en un livre vivant pour les laïcs. En calquant leur vie sur celle de leur premier pasteur, les ecclésiastiques devinrent les guides des ignorants, les consolateurs des pauvres, les soutiens des opprimés et les défenseurs de la veuve et de l’orphelin. Des écoles furent ouvertes et confiées à leurs soins. La jeunesse fut formée aux sciences et à la religion. Ainsi, grâce à Anthelme, la civilisation fit un progrès immense dans le pays. La propreté et la décence furent rendues aux temples de Dieu. Partout, la probité, l’innocence et les bonnes mœurs commencèrent à renaître. La religion est le lien de la société. Elle y fait régner les vertus ; elle y maintient la vigueur des lois ; elle seule est la véritable base de l’ordre public et le principe d’une sage liberté.

Le nouvel évêque de Belley ne se contenta pas de réformer son clergé. Il parcourut son diocèse, répandant sur les fidèles les rosées de la grâce et annonçant les maximes consolantes de l’Évangile. Partout, il apaisa les querelles, sécha les larmes, fortifia les faibles, guérit les malades, et laissa des traces de sa charité et de sa sainteté.

Au cours d’une visite pastorale, il rencontra un cultivateur qui avait été piqué par un serpent monstrueux (26). Le venin avait été si actif et si dangereux, que cet homme enfla en un clin d’œil. Il devint livide et tomba avec des convulsions qui allaient mettre fin à ses jours, aux jours d’un père ! Anthelme, touché jusqu’aux larmes par le désespoir auquel cet accident venait de réduire une nombreuse famille, leva les yeux au ciel, puis s’inclinant, il traça sur le malade le signe de la croix. Aussitôt, ce malheureux fut guéri. Il se releva pour retomber aux genoux d’Anthelme et lui exprimer sa reconnaissance. L’Évêque craignait par-dessus tout la célébrité qu’attire le don des miracles. Se croyant indigne d’en faire, il recommanda aux témoins étonnés de remercier Dieu pour celui qu’il venait d’opérer dans sa miséricorde et de ne jamais en parler à personne.

Mais Anthelme désirait encore plus guérir les maux de l’âme que ceux du corps. Comme le divin Sauveur, il allait dans les maisons des pécheurs, les exhortait, les persuadait et les convertissait. S’il ne pouvait tous les atteindre, s’il ne pouvait triompher de la dureté de tous, il se dérobait à leurs yeux et allait se renfermer dans une cellule qu’il avait conservée à la Grande-Chartreuse. C’était la plus modeste. Là, il pleurait sur les péchés qu’il ne pouvait pas guérir. Par ses prières et ses pénitences, ce pasteur vigilant obtenait la pitié du Ciel pour cette portion de son troupeau. Du haut de cette montagne, comme Élie, il faisait descendre le feu de l’Esprit-Saint, non pour consumer les cœurs endurcis, mais pour les purifier.

Dès qu’il fut à la tête d’un nombreux troupeau, il se considéra comme une victime publique. En cette qualité il s’immola sans cesse par une rude mortification. Il s’interposa entre le Ciel et ses ouailles. Il accomplit lui-même les œuvres satisfactoires qui étaient négligées par des chrétiens. Son corps fut pour son peuple un rempart contre les vengeances de Dieu qui épargna le troupeau à cause du pasteur.

Médiation entre Henri II et Thomas de Cantorbéry

Pendant qu’Anthelme rétablissait ainsi la foi dans son diocèse, le souverain pontife Alexandre III qui connaissait son mérite et la considération dont il était entouré le choisit en 1169 pour l’envoyer en Angleterre mettre fin aux longs débats qui divisaient Henri II et Thomas de Cantorbéry (27). Cet archevêque savait combien la médiation d’Anthelme avait été bénéfique pour l’Église universelle. Il espérait qu’elle contribuerait à rétablir la paix dans celle de Cantorbéry. Thomas sollicita donc le pape pour qu’il charge l’évêque de Belley de cette délicate affaire dont l’issue dépendait des dispositions pacifiques qu’il pourrait inspirer au monarque. Anthelme aurait peut-être pu sauver le Prélat s’il avait eu le temps de conduire à son terme la négociation dont il était chargé. L’archevêque fut frappé à mort dans son église par quatre jeunes gentilshommes du palais le 29 décembre 1170.

L’évêque de Saluces (28), qui a consigné ce détail de la vie de saint Anthelme, affirme que cette honorable mission ne changea pas ses goûts, et qu’il continua à vivre dans l’humilité, comblé de gloire et de bénédictions, jouissant de l’estime attachée à la plus grande vertu, mais non sans éprouver des contradictions. Elles sont nécessaires pour nous détacher du monde, pour nous apprendre que nous ne devons pas être mieux traités que Jésus Christ, puisque nous sommes ses disciples. Elles servent encore à exercer la vertu et à faire éclater le courage qu’ont les saints. Anthelme donne l’exemple de cette fermeté qui sacrifie tout à la gloire de Dieu et qui dispose toujours le vrai chrétien à combattre pour la cause sainte.

En vertu des droits de suzeraineté que Frédéric Barberousse exerçait sur les anciennes provinces de l’Empire romain dont le Bugey avait fait partie, il donna à Anthelme par des bulles (29) datées du 24 mars 1175, avec le titre de prince du Saint Empire, des privilèges très-étendus (30). Il l’investit de la souveraineté de la ville de Belley et de ses dépendances. Il le prit sous sa protection spéciale, lui, son Église, son chapitre et son diocèse.

Humbert III, prince de Savoie

Humbert III, prince de Savoie dont dépendait le Bugey, pieux, mais peut-être un peu ombrageux, fut jaloux des faveurs dont bénéficia Anthelme. Il viola ces privilèges en faisant emprisonner un prêtre de Belley que des affaires avaient appelé en Maurienne. Anthelme le réclama et le fit remettre en liberté par Guillaume, évêque de Saint-Jean-de-Maurienne en 1176, mais peu de temps après, ce malheureux périt dans des embûches dressées par les serviteurs du prévôt du prince Humbert. Alors, sans oublier qu’il était sujet, le prélat se rappela qu’il était évêque, et sa charité pastorale le força à demander satisfaction au coupable pour sauver le prince. Humbert ne répondit que par d’autres procédés encore plus violents et par des prétentions supérieures qui obligèrent Anthelme à déposer le bouclier de la patience pour employer le glaive des anathèmes. Le prince se pourvut en cour de Rome et le pape qui avait été trompé par de faux rapports, chargea l’archevêque de Tarentaise (31), et un autre évêque, d’examiner les faits, et de lever l’excommunication s’il y avait lieu. Les deux prélats ayant reconnu que l’évêque de Belley n’avait fait qu’imiter la fermeté (32), et qu’en toute justice l’excommunication ne pouvait être levée, à moins qu’il n’y eût satisfaction, se retirèrent sans donner l’absolution au comte. Le pape, surpris par de nouvelles demandes et par d’autres calomnies, la lui donna. À partir de là, les vexations du prince ne firent qu’augmenter. Elles devinrent telles, qu’Anthelme se retira dans son ancienne solitude sur la montagne pour s’entretenir avec Dieu, laissant la place à son successeur qui, moins en butte aux contradictions, pourrait réaliser ce qu’elles l’avaient empêché de faire. Cette nouvelle retraite d’Anthelme suscita l’effroi et alarma les pères. Leurs gémissements, leurs sanglots et leurs craintes égalèrent la perte qu’ils venaient de faire. Sachant qu’Anthelme était toujours fidèle à la voix de Dieu, ils envoyèrent à Rome un messager. Ils obtinrent des lettres du pape pour l’obliger à revenir et, sans attendre, ils l’arrachèrent à sa cellule pour le ramener dans son palais. Les fêtes de toutes parts manifestèrent la joie publique. Son entrée fut un triomphe pour lui, pour la religion et pour le peuple.

Humbert, à la vue de tant d’hommages et de respect rendus à Anthelme, tourmenté par les remords, n’osa, quoiqu’absous par le pape, se présenter dans le temple du Dieu sans s’être humilié devant l’évêque qui le reçut avec la tendresse d’un père. Mais, loin de donner satisfaction comme il l’avait promis, le prince se conduisit encore plus mal et voulut convoquer Anthelme devant un tribunal séculier. Anthelme se contenta de le citer au tribunal de Jésus Christ ; le comte n’osa s’exposer à l’issue d’un tel jugement. Saisi de crainte et baigné de larmes, il se jeta au pied du prélat qui était malade, promit par serment de réparer ses torts, d’être désormais le protecteur de son Église et finit par obtenir un pardon qui fut accompagné d’une bénédiction particulière pour lui et sa famille. À cette occasion, Anthelme lui souhaita et lui annonça un fils. Le prince Humbert, affligé de n’avoir qu’une fille, ne tarda pas à se réjouir de la naissance d’un futur successeur, qui régna après lui sous le nom de Thomas Ier (33).

Anthelme, conseiller.

La cour romaine, qui apprécie le mérite, témoigna à Anthelme estime et considération. Par ces marques de déférence, elle sembla le désigner à l’épiscopat comme un modèle et un guide. Aussi devint-il l’oracle des synodes, la lumière des assemblées tant séculières qu’ecclésiastiques. En toutes occasions, les évêques et les autres personnages distingués lui rendirent toujours des honneurs extraordinaires.

De toutes parts, on s’adressait à lui pour recevoir des conseils de vive voix ou par écrit. Les occupations que lui attirait la confiance universelle dont il jouissait, les sollicitudes d’une administration vaste et difficile ne l’empêchaient pas de donner des soins tout particuliers aux communautés religieuses. Sans parler des chartreuses, il affectionnait particulièrement deux maisons, auxquelles il fournissait tout ce dont elles avaient besoin, soit pour l’entretien des bâtiments, soit en vivres et en habits. Elles ne subsistaient que par ses bienfaits. L’une était située à Bons, près de Belley, de l’ordre dé Cîteaux, fondée par Marguerite de Savoie qui s’y fit religieuse en 1155. Elle était la sœur d’Humbert III. C’est là que se rendait un grand nombre de vierges et de veuves chrétiennes qui fuyaient la contagion d’un monde corrompu pour fortifier leur foi dans la solitude. Elles s’environnaient de murailles comme d’un rempart contre le souffle contagieux du siècle. Elles faisaient pénitence en employant les larmes comme saint Augustin, les veilles comme saint Jérôme, les cilices comme Esther et David, les glaces et les neiges comme saint Bernard et saint François.

Anthelme et les lépreux.

L’autre établissement auquel saint Anthelme prodiguait ses soins était une ladrerie, sur la rive gauche du Rhône, dont l’endroit était connu au début du XIXe siècle sous le nom de Maladière, entre la Balme-de-Pierre-Châtel et la petite ville de Yenne en Savoie. Il subsistait encore à cette époque les restes d’une chapelle sous le vocable de saint Hugon et le petit hospice à côté, transformé en habitation particulière. Là, un bon nombre d’infortunés, attaqués d’un mal horrible, réputé sans remède, étaient séparés de la société et relégués au milieu d’affreux rochers. La lèpre, si commune alors, tout épouvantable qu’elle est, n’intimidait pas la charité de ce zélé pasteur : il s’exposa lui-même pour le salut de ceux qui en sont atteints sans penser qu’il pouvait contracter leur mal. L’amour qu’il eut pour ces infortunés étouffa l’amour qu’il aurait dû avoir pour lui-même. Il passa des journées entières avec eux pour les consoler et purifier leur âme par le sacrement de pénitence et d’autres exercices de piété qu’il leur faisait pratiquer.

Le zèle avec lequel Anthelme à un âge très avancé supportait tant de fatigues au milieu de tant d’autres sollicitudes était admiré comme un prodige dont le ciel gratifiait ses ouailles, plutôt que l’homme lui-même, puisqu’une si longue vie était tout employée à pratiquer la charité.

La mort d’Anthelme

L’année 1178 fut pour le Bugey une année de disette et de misère. Anthelme était occupé à distribuer des vivres aux malheureux habitants de toutes les contrées voisines quand le souverain Juge vint le visiter dans une maladie dont il ne devait pas guérir. « Heureux ce serviteur que son maître, en arrivant, trouvera en train d’agir ainsi ! » (Luc, XII, 43.)

Une fièvre ardente saisit Anthelme dans sa ville épiscopale. La violence du mal le conduisit promptement aux portes de la mort qu’il vit s’approcher comme une libératrice qui allait le rendre à sa véritable patrie. Lui seul était calme. Son chapitre, ses amis, les notables de la ville, ses domestiques, fondaient en larmes autour de son lit pendant qu’il les bénissait. Ils ne pleuraient pas seulement sa mort, puisqu’elle devait le conduire à une vie meilleure, mais il leur en coûtait de se séparer de ce vertueux prélat, de ce bon maître. Il refusa de faire son testament, parce que, disait-il, un religieux ne possède rien en propre, un évêque n’est que le dispensateur des biens de son Église. Il ne saurait donc en disposer au moment où la mort vient lui en ôter l’administration. Il exhorta les personnes qui l’entouraient à vivre dans une grande charité et à demeurer toujours unies par les liens de la paix. Enfin il rendit son âme à Dieu au milieu des litanies et des prières qu’on récitait auprès de son lit le 26 juin 1178. Il était âgé de 72 ans. Il en avait passé plus de 30 dans le cloître et 15 dans l’épiscopat. La consternation qui se manifesta de toutes parts.

Au premier bruit de ce funeste accident, le clergé, la noblesse et le peuple manifestèrent leur douleur.

Pendant que la ville de Belley était plongée dans cette douleur profonde, le corps du saint fut revêtu de l’habit de chartreux qu’il porta toujours et paré de la mitre, de la croix pectorale, de l’anneau, du bâton pastoral. Il demeura plusieurs jours exposé aux regards du public. Ensuite, il fut placé dans une tombe préparée à l’entrée du chœur de la cathédrale, sous le crucifix. Tous les bras enveloppèrent cette bière où reposait l’objet de la tendre vénération des grands de la terre, des riches, des pauvres, des vieillards, des jeunes gens. On se précipita sur ce sacré dépôt ; on y appliqua des objets de dévotion, des linges que l’on conserva précieusement. Les mères inclinèrent leurs enfants sur ce bois que l’on craignait de voir disparaître et chacun se retira dans le frémissement et les sanglots qu’excitent les extrêmes calamités.

Premier signe miraculeux

Pour calmer tant de regrets, Dieu avertit miraculeusement la ville de Belley qu’elle avait un protecteur dans le ciel.

Au moment où l’on se disposait à descendre le corps de saint Anthelme dans le monument, l’une des trois lampes placées en face du crucifix comme symbole de l’adorable Trinité et qu’on n’allumait qu’aux grandes fêtes, brilla spontanément avec une vive clarté. Tous les spectateurs, étonnés, la considérèrent avec attention. Au même instant, les deux autres furent aussi allumées miraculeusement. Elles jetèrent une lumière éblouissante et surnaturelle. Ce fait est attesté par des auteurs contemporains qui s’accordent tous dans la manière de le raconter (34).

Le clergé poussa des cris d’allégresse et entonna des cantiques d’actions de grâces. Les gémissements et les pleurs furent changés en applaudissements et en prières publiques. Les habitants des environs, les citoyens de la ville, accoururent de toutes parts pour admirer cette merveille. Parmi eux se trouvaient le prince Humbert avec son beau-père, Girard de Vienne, et une nombreuse compagnie de grands seigneurs. Le Comte s’était emparé des objets laissés par le saint évêque en vertu d’un prétendu droit de régale (35). Il fut stupéfait de ce miracle. Il rentra au palais épiscopal et restitua tout ce qu’il s’était approprié. Dès lors, il vécut avec une piété sincère et mourut dix ans après à Chambéry en odeur de sainteté. Il fut enterré à Hautecombe, où le roi Charles-Félix fit restaurer son mausolée qui avait été détruit par la révolution.

Les habitants de Belley firent placer cette inscription près du tombeau de leur évêque, tant regretté, et de leur protecteur :

Deo optimo, maximo, B. Anthelmo thaumaturgo, libertatis ecclesiasticæ strenuo vindici, Cartusiæ majoris VII priori, totiusque ordinis item VII generati præposito, sacri imperii principi, civitatis Bellicii XLVI præsuli, primo dynastæ et tutelari pientissimo, cives bellicenses, illius devotissimi clientuli D. D.
Hactùs illæsum per bella, incendia, pestes, Bellicium hoc, Anthelme, tibi debere fatetur;
Et ne nulla tibi referatur gratia posthàc,
Urbs tua perpetuos voto tibi sacrat honores,

« Au Dieu très parfait, très grand,
Au B. Anthelme le Thaumaturge,

Zélé défenseur des libertés de l’Église, 7e prieur et 7e général des chartreux, prince du Saint Empire, 46e évêque, premier seigneur et protecteur zélé de Belley ; les citoyens de cette ville, ses dévoués clients, lui ont élevé ce monument. »

« Si Belley existe après des guerres, des Incendies et des pestes, il avoue, Anthelme, qu’il le doit à votre protection ; mais afin que la postérité ne perde jamais le souvenir d’un si grand bienfait, votre ville proclame à jamais votre culte par un vœu solennel. »

À cette époque la voix du peuple et le consentement des évêques suffisaient pour canoniser un saint. La cérémonie consistait à orner son tombeau, à l’élever un peu de terre pour mieux exposer les reliques à la vénération des fidèles, comme on fit alors pour le saint évêque de Belley. Les règles établies par le pape Alexandre III sur la canonisation des saints ne furent régulièrement observées en France que quelque temps après (36).

Dès que le corps de saint Anthelme eut été placé avec tant de solennité dans la cathédrale de Belley, les fidèles ne cessèrent de venir à son tombeau solliciter des faveurs, et s’en retournaient toujours en publiant quelques miracles obtenu par sa médiation.

Quelques miracles

Un jeune homme de famille noble avait voué jadis à Anthelme une haine implacable, parce que, de son vivant, il l’avait repris plusieurs fois de ses désordres. Passant un jour devant son sépulcre, il se moqua de la foule des malades qui l’entourait pour obtenir leur guérison. Il traita leur foi de folie et se retira en riant. À peine était-il sorti, qu’un mal violent le saisit et mit sa vie en péril imminent. Il se repentit et demanda, à être conduit vers le tombeau du saint évêque pour lui faire amende honorable. Il y fut porté et aussitôt il fut délivré de son mal. Depuis lors, ce jeune homme mena une vie exemplaire et eut toujours le plus profond respect pour saint Anthelme de qui il reconnaissait avoir reçu la santé de l’âme et du corps.

Un autre jeune homme, épileptique et tourmenté par une longue fièvre, fut guéri en buvant du vin qui avait servi à laver le corps du saint. La nouvelle de ce miracle se répandit et plusieurs personnes atteintes de diverses maladies éprouvèrent le même effet.

Au Ciel, saint Anthelme n’oublia pas les personnes avec qui il avait été lié sur la terre. Pendant qu’il était à la Grande-Chartreuse, il connut un jeune seigneur des environs de Grenoble, recommandable par sa piété. Ce gentilhomme et sa femme avaient depuis longtemps la douleur de ne pas avoir un héritier de leur nom, de leur tendresse et de leur grande fortune. Cette épouse désolée vint offrir à Dieu ses vœux et ses prières auprès du tombeau du saint prélat. Elle conçut et mit au monde un enfant qui fit la joie et la consolation de ses parents.

Pendant sa vie, Anthelme avait soulagé toutes les infortunes ; son pouvoir au ciel ne fut employé qu’à consoler les malheureux.

Revenant de l’étranger où il avait amassé beaucoup d’or et d’objets précieux, un marchand traversa le Rhône pour porter ses richesses dans son pays. Son cheval tomba dans le fleuve et en moins d’un clin d’œil tout fut englouti. Le malheureux fut désespéré de voir périr en un instant le fruit de tant d’années de travaux et de peines. Les témoins de son malheur l’engagèrent à avoir confiance en saint Anthelme dont ils lui racontèrent plusieurs miracles. Animé d’une foi vive, il accourut à Belley. Il passa la nuit en prières auprès de son tombeau et, plein de confiance, il se rendit le lendemain à l’endroit d’où il s’était retiré si triste la veille. Quelle ne fut pas sa joie en retrouvant sur le rivage ses malles qui n’avaient pas souffert  ! Il revint remercier Dieu et diffusa au loin la renommée du bienheureux évêque.

Dans un village du Dauphiné appelé Fittilleux, alors du diocèse de Belley, un jeune enfant sortit de la maison pendant que sa mère travaillait dans les champs. À son retour, elle le chercha avec les soins mêlés de la plus cruelle inquiétude. Elle l’aperçut dans le ruisseau qui passe près du village. Ô mon Dieu ! s’écria-t-elle, ô saint Anthelme, rendez-moi mon fils. Aussitôt, elle le retira sur la rive. Quand elle vit qu’il était inanimé, elle fut désespérée, elle s’arracha les cheveux, se frappa la poitrine à coups de poing, remplit la vallée de ses tristes gémissements, et voulut se donner la mort. Le père, attiré par les cris perçants de son épouse, laissa aussi éclater sa douleur. Les voisins accoururent. Tous les soins qu’ils prodiguèrent à l’enfant furent inutiles et ne purent pas le rappeler à la vie. On pensait à l’ensevelir. La mère s’y opposa en disant : « Je porterai ce cadavre à saint Jean et au bienheureux saint Anthelme, mon protecteur. Je crois que, par leurs mérites, Dieu me rendra ce fils que le démon m’a enlevé à cause de la malice de mes péchés. » Rien ne put la détourner de ce pieux dessein. Le père se chargea de ce fardeau qui naguère n’en était pas un. Suivi de la mère et de ses voisins, il l’apporta devant le tombeau de saint Anthelme. Dieu ne voulut pas qu’une foi si vive restât sans récompense. Plusieurs personnes de Belley les suivirent à l’église. Les lamentations et les prières de ces malheureux parents leur arrachèrent des larmes que suspendit la surprise, et que sécha bientôt la joie, car, peu de temps après avoir été placé près du tombeau, le cadavre commença à se mouvoir. Peu de temps après, l’enfant poussa des gémissements et se leva au grand étonnement de tous les spectateurs. Alors on l’entoura, et l’on s’assura qu’il fut entièrement guéri. Une grande joie, mêlée de crainte et d’admiration, s’empara de tous ceux qui étaient présents. Le père et la mère pleurèrent de tendresse et chacun, très ému, loua Dieu qui voulut bien opérer de si grandes choses par l’intercession de ses saints.

Le diocèse de Belley sous la protection de saint Anthelme

Jean de Passelaigue (37) fut nommé évêque de Belley, en remplacement de Jean-Pierre Camus (38), cet illustre et savant ami de saint François de Sales, 452 ans après le dépôt de saint Anthelme dans ce tombeau où ce genre de merveilles se renouvelait très souvent. Il ne crut pas pouvoir mettre son épiscopat et son diocèse sous la protection d’un saint plus puissant qu’Anthelme.

Cette dévotion d’un si grand évêque envers son saint prédécesseur transporta de joie le clergé et les fidèles de son diocèse qui, depuis longtemps, désiraient voir le corps du saint tiré de son tombeau pour être placé dans un lieu plus décent afin que la vue de ces précieuses dépouilles augmentât le nombre des miracles, en augmentant la confiance et la dévotion. L’ordre des Chartreux, le chapitre de la cathédrale de Saint-Jean et les syndics de la ville de Belley adressèrent d’humbles suppliques à l’évêque contenant les principales circonstances de la vie du saint évêque et des guérisons qui s’opéraient depuis plus de quatre siècles et demi à son tombeau. Des informations nombreuses furent faites sur l’authenticité de ces miracles. Des témoins furent entendus et leurs dépositions formèrent le plus beau concert de louanges et d’actions de grâces en l’honneur du saint confesseur.

Au nom de l’église qui l’avait déjà placé dans son martyrologe, Anthelme fut déclaré protecteur de la ville et du diocèse de Belley.

La reconnaissance des reliques

Le 26 juin 1630, la reconnaissance des saintes reliques fut faite en présence de la foule accourue pour contempler ce digne objet de sa tendre vénération. Un cri de joie, suivi du silence d’une admiration toute religieuse, se fit entendre quand, à l’ouverture du sépulcre, une odeur suave se répandit dans toute l’église. L’étonnement augmenta lorsqu’on vit que Dieu avait préservé le corps de son fidèle serviteur de la corruption du tombeau et que ses vêtements n’avaient presque pas été endommagés. Ces dépouilles glorieuses, renfermées dans une châsse richement ornée, furent portées avec pompe autour de la ville au milieu d’une procession composée de l’évêque en habits pontificaux, du chapitre, des ordres religieux, des notables de Belley, de ceux des environs et d’un grand nombre de fidèles accourus de toutes les provinces voisines pour implorer la protection du saint évêque. La confrérie de Saint-Anthelme entourait la chasse. Les auteurs contemporains, témoins de ce triomphe (39), assurent que la foule ne détournait ses yeux de l’objet de sa vénération que pour contempler cette société modeste et pieuse, formée en ce grand jour en l’honneur de saint Anthelme dont elle a imité longtemps les vertus. La châsse fut apportée dans la chapelle par quatre chanoines et déposée par Monseigneur de Passelaigue sur un autel de marbre préparé pour le recevoir. Alors on remplaça la première inscription par celle-ci, visible sur une pierre à l’entrée du chœur :

Hic requievit corpus S. Anthelmi (quondam hujus ecclesiæ præsulis), ab anno 1178, usquè ad ann. 1630, quo levatum et in capellam proximam ips. nomini dicatam per Joan. de Passelaigue, episcopum bellicen. solemniter translatum est.

« Le corps de saint Anthelme, autrefois évêque de cette église, a reposé ici depuis 1178 jusqu’en 1630, époque à laquelle il a été relevé et transporté solennellement dans la chapelle voisine, consacrée à sa mémoire par Jean de Passelaigue, évêque de Belley. »

Ce qu’il y eut de plus admirable en ce jour solennel, ce furent les miracles qui s’opérèrent et qui, tout en prouvant les mérites du saint, honorèrent tant cette cérémonie. Des boiteux furent redressés, des aveugles recouvrèrent la vue et un grand nombre d’autres malades guéris de différentes infirmités couraient çà et là ivres de joie en publiant les louanges de Dieu et la puissance du grand thaumaturge.

À partir de ce moment, la dévotion au saint évêque de Belley se répandit. Dieu rendit ses dépouilles encore plus fécondes en prodiges. Sa chapelle fut plus fréquentée et les miracles s’y multiplièrent à tel point qu’un volume ne suffirait pas pour toutes les présenter avec les détails édifiants que des écrivains dignes de foi et la tradition nous ont conservés (40).

La ville de Belley qui possède le dépôt sacré du corps de son puissant protecteur et qui venait de lui rendre des honneurs si religieux fut la première ville qui bénéficia de sa puissance tutélaire.

La peste

À cette époque, la peste dépeuplait les provinces voisines. Belley était menacé de près : le fléau avait commencé ses ravages dans les faubourgs. Face à ce danger imminant, la châsse de saint Anthelme fut exposée comme un bouclier puissant. Elle fut entourée par les pieux habitants de cette ville. Non seulement ils furent préservés de ce malheur redoutable, mais les militaires de Belley qui étaient dans l’armée royale stationnée alors à Saint-Maurice et devant Montmélian, fuyant ces lieux qui n’étaient plus que d’horribles tombeaux, ne communiquèrent pas ce mal contagieux en rentrant dans leurs foyers. Tous au contraire en furent guéris en allant visiter la chapelle de saint Anthelme et en déposant leurs vœux au pied de ses reliques.

L’enfant de mademoiselle Barbe, habitante de Saint-Priez, femme de noble Georges Ferra de Courtine, conseillé du roi, atteint de la peste, fut couvert d’abcès. La mère, malgré l’avis des médecins, ne voulut pas l’abandonner, et il mourut entre ses bras. Elle avait une grande dévotion pour saint Anthelme de qui elle avait déjà reçu plusieurs faveurs signalées. Se confiant donc aux mérites du saint thaumaturge, elle porta son enfant sur sa chasse où la vie et la santé lui furent rendues, ce qui excita l’admiration religieuse des témoins.

Autres miracles

Claudine Mornieu du village de Genevray, atteinte de convulsions étranges, poussait des gémissements, des cris effrayants et épouvantait tout le monde par ses contorsions. Les angoisses qu’elle éprouvait à la vue d’un objet sacré firent soupçonner qu’elle était possédée par le démon. Monseigneur de Passelaigue, qui était en visite pastorale dans ce village et à qui elle fut amenée, invita les parents à la conduire à la chasse de saint Anthelme. Le 24 juin 1631, elle assista à la sainte messe dans sa chapelle, elle y éprouva de terribles convulsions, puis s’endormit. À son réveil, elle se trouva délivrée. Elle fut si reconnaissante de ce bienfait qu’elle demeura neuf jours à Belley dans le jeûne, la prière et les actions de grâces. Quelques jours après, la fille de Georges Faguet, de Bresse, obtint la même faveur.

Saint Grégoire, parlant des miracles obtenus par l’intercession de saint Cyprien, martyr, disait que la poussière de son tombeau était toute puissante. La terre recueillie à celui de saint Anthelme le jour de sa translation, opéra des guérisons miraculeuses sur des frénétiques possédés du démon.

Antoine Dufrene, habitant au Pont-de-Beauvoisin, éprouva des douleurs si aiguës pendant trois semaines qu’il en perdit la vue et fut saisi de convulsions qui le firent passer pour mort. Le 4 novembre 1629, sa femme, désespérée, eut recours à saint Anthelme. Aussitôt, le malade commença à respirer, ouvrit les yeux. Sa guérison fut si rapide que, quelques jours après, il put venir à Belley rendre ses actions de grâces.

Martin Rétioz habitant Thouy, paroisse d’Arbigneux, fut frappé d’une apoplexie qui le ravit subitement à sa famille désolée. Benoît Angelier, son beau-fils, le redemanda à saint Anthelme par ses cris et par ses prières qui furent immédiatement exaucées.

Humberte, fille d’honorable Grivet, du Bourget en Savoie, fut ravie à sa famille à l’âge de 19 ans. On préparait ses funérailles lorsque son père eut l’idée de la vouer à saint Anthelme. Dès qu’il l’eut fait, elle commença à reprendre ses esprits. Le deuil de cette maison fut changé en joie. Humberte vint elle-même le surlendemain rendre ses actions de grâces à son libérateur, auquel elle eut toujours une grande confiance et dont elle obtint ensuite des faveurs signalées.

Le prophète Isaïe (41) dit que la puissance de faire marcher les infirmes sera la marque à laquelle on reconnaîtra le Sauveur du monde. Ce divin Sauveur fait quelquefois partager cette puissance à ses fidèles serviteurs comme le montrent les ex-voto en tout genre que les malades et les boiteux suspendaient dans sa chapelle après leur guérison pour rendre témoignage. Ils étaient encore présents au moment de la Révolution.

La fille de Pierre Norballier, de Champagne en Valromey qui ne pouvait pas se servir de ses membres dès sa naissance fut entièrement guérie à l’instant où sa mère la voua à saint Anthelme.

Le curé d’Aranc, près de Saint-Rambert, avait une jambe enflée et ulcérée qui le faisait atrocement souffrir. Il avait renoncé à de longs et inutiles traitements pour venir faire toucher sa plaie contre la châsse du saint. Sa foi fut récompensée. Sur le champ, il se leva en criant : Saint Anthelme m’a guéri. Dans l’excès de sa joie et de sa reconnaissance, il se mit immédiatement en marche, à pied, pour retourner auprès de son peuple, impatient de faire connaître à tout le monde la merveille qu’il avait plu à Dieu d’opérer en sa faveur par l’entremise de son saint confesseur.

La guérison de Claude Renaud, de Saint Symphorien en Dauphiné, ne fut pas moins merveilleuse. Depuis longtemps, il était travaillé par une sciatique à la cuisse gauche. La douleur était si violente qu’elle le désespérait. Il poussait des cris et déchirait ses vêtements. Ses amis lui dirent d’avoir confiance en Dieu et de s’adresser à saint Anthelme pour obtenir sa guérison. Il fit vœu de se faire porter à Belley, visita ses reliques, entendit la messe dans sa chapelle où la santé la plus complète lui fut subitement rendue. Tout le bourg de Saint-Symphorien qui l’avait vu depuis si longtemps languir au milieu de ses douleurs fut saisi d’étonnement en l’apercevant revenir à pied, attestant par sa démarche ferme et assurée qu’il était parfaitement guéri.

Benoîte, fille d’Étienne Mouton, commissaire du village de Bregnier, diocèse de Belley, âgée de 18 ans, ne pouvait plus se servir de ses membres depuis l’âge de 12 ans. Le père et la mère qui aimaient tendrement cette fille à cause de son bon caractère et de sa douceur n’avaient rien négligé pour la soulager. Les longs traitements n’avaient servi qu’à les convaincre que le mal était sans remède. Les guérisons merveilleuses qui s’opéraient tous les jours à la chapelle du saint évêque réveillèrent leur foi. Ils amenèrent leur enfant à Belley. La jeune fille y passa neuf jours dans les prières et communia plusieurs fois. Dès le premier jour, elle put se mettre à genoux. Le lendemain, elle marcha puis tous ses maux finirent avec la neuvaine.

Une petite fille âgée de 4 ans du village de Lapalu en Dauphiné, sourde-muette de naissance, ayant perdu l’usage de tous ses membres, fut vouée à saint Anthelme. Elle recouvrit l’usage de ses membres. Sa mère Geoffraye Quinet s’empressa de venir accomplir son vœu. Elle amena avec elle quatre témoins pour attester le fait. La petite fille qui était restée sourde-muette se mit à parler en touchant la châsse du saint. Toute sa vie, elle ne fit servir sa langue qu’à remercier Dieu et à publier les louanges de son puissant bienfaiteur.

Saint Anthelme eut le don de guérir de diverses maladies. Plusieurs aveugles retrouvèrent la vue par son intercession.

Le jour de la translation de ses reliques, un pauvre affligé de cécité fut subitement guéri près de la châsse. Sa joie fut si grande qu’il se mit à louer Dieu à haute voix au milieu de la foule qu’il s’efforçait de fendre pour se retirer.

Quelques années plus tard, Claudine Montey, de Belley, et Pierrette Barbet, de l’Abergement en Valromey, reçurent une semblable faveur après une neuvaine faite à la chapelle du saint. Ces trois guérisons furent également soudaines et constantes. Le très grand nombre de personnes qui les ont attestées ne laissent aucun doute sur la vérité de leur témoignage.

De tout temps, des enfants mort-nés furent apportés à la chapelle de saint Anthelme. La plupart reçurent par ses mérites la vie corporelle et le bienfait plus précieux encore de la vie spirituelle par le baptême. De nombreuses guérisons furent obtenues par des malheureux tourmentés par des fièvres opiniâtres. Ils accouraient ici du Bugey, de La Bresse, du Dauphiné et d’autres provinces environnantes.

Malheureusement, les procès-verbaux qui constataient de nombreux miracles, soigneusement conservés dans les archives de la cathédrale de Belley, furent enlevés en 1793 pour être livrés aux flammes.

La fête de saint Anthelme

L’affluence des étrangers dans Belley était considérable les jours qui précédaient la fête du saint évêque. Les hommes, les femmes, les vieillards, les enfants accouraient alors auprès de la châsse de saint Anthelme en si grand nombre que l’ensemble des maisons particulières et des hôtels ne suffisait pas loger cette foule de personnes pieuses qui passaient la nuit dans les rues et sous les arbres occupées à prier et à chanter des cantiques.

Dès la veille, les confrères de Saint-Anthelme venaient en très grand nombre dans sa chapelle, le cierge à la main, en chantant avec dévotion l’hymne des confesseurs et le cantique de la reconnaissance. La cérémonie se terminait par la vénération des reliques. Le lendemain, la messe était chantée en musique et de nombreux fidèles, à l’exemple des pieux confrères, se présentaient à la table sainte. Le soir de ce beau jour et la veille, les rues étaient éclairées par des illuminations. L’oubli et le pardon des injures, la franche gaîté unissaient tous les cœurs. L’habitant des campagnes saluait du nom de cousin les personnes qu’il avait coutume de n’aborder qu’avec les marques du plus profond respect. Son salut était approuvé par le sourire de l’affabilité : en un mot, c’était une fête de famille.

Tous les évêques de Belley prirent part à cette solennité et semblèrent se transmettre un zèle ardent pour alimenter le culte de leur saint prédécesseur. Monseigneur Gabriel Cortois de Quincey (42), l’un des plus dignes successeurs de tant d’illustres pontifes désira aussi manifester sa dévotion à saint Anthelme. Il fut zélateur de son culte et un fidèle imitateur de ce grand modèle pendant les quarante ans où il siégea sur le trône pontifical de Belley. Ce vénérable prélat reconnaissait lui devoir la vie. Pour remplir le vœu qu’il lui avait fait étant sur le point de périr en traversant la rivière d’Ain, il répara sa chapelle en 1759 et la décora de tableaux dont le mérite et la valeur ne purent cependant les préserver de la fureur des iconoclastes du XVIIIe siècle. Il fit construire un autel en marbre blanc. Il revêtit le corps saint d’un suaire magnifique et d’un ornement brodé en or. À partir de ce moment, le concours des fidèles continua avec une nouvelle affluence.

La Révolution

La Révolution vint engloutir le trône et l’autel, et couvrir la France de ruines. Les scènes sanglantes, les églises renversées, les clochers abattus rappelleront encore longtemps les excès commandés par un homme (43).

À cette époque fatale, les fidèles n’osaient plus venir que furtivement et dans l’obscurité arroser de leurs larmes les marches du sanctuaire où, pendant plus de six siècles (44), saint Anthelme avait été vénéré, et avait reçu les vœux que lui adressait la confiance. Ses saintes dépouilles ne devaient pas rester dans un temple duquel Dieu lui-même avait été proscrit.

Le 6 décembre 1793, des mains sacrilèges, après avoir profané cet asile sacré, enlevèrent du dessus de l’autel la chasse qui renfermait le corps du saint et se disposaient à la porter sur la place publique pour la livrer aux flammes.

La nouvelle du déplacement de la châsse qui contenait le corps saint mit la ville de Belley dans un état de stupeur et d’alarmes. Les uns accoururent, poussés par la rage de l’impiété, les autres attirés par la curiosité et par le désir de contempler le corps du saint prélat. Ces derniers réussirent à soustraire furtivement divers lambeaux des linges qui l’enveloppaient et quelques ossements qu’ils conservèrent avec vénération. Pendant ce temps, un individu sépara la tête du saint pour la montrer avec dérision, puis la brisa sur le pavé en proférant ces paroles qui firent frissonner tous les assistants : si tu es saint, fais-le voir ? Peu de jours après cette imprécation, des tumeurs affreuses lui survinrent autour du cou et pendaient en forme de fraise de huit à neuf pouces de long. Il conserva cette infirmité dégoûtante jusqu’à la fin de sa vie, qui dura encore vingt-trois ans. Toute la ville crut apercevoir dans cet événement un châtiment du ciel, où la miséricorde s’unit à la justice, car l’individu, repentant sincèrement, revint à des sentiments chrétiens, donna des preuves de la plus touchante dévotion à saint Anthelme et mourut dans des dispositions qui font espérer qu’il aura trouvé grâce au tribunal de la justice du Dieu.

Telles furent les horreurs de cette journée désastreuse. Mais que peuvent les desseins des méchants contre la puissance du Seigneur ? L’arche protectrice fut enlevée et dépouillée de ses ornements par ces hommes qui se jetèrent avec avidité sur les richesses dont la piété des fidèles l’avait entourée. Le dépôt sacré qu’elle renfermait, protégé par des sentinelles envoyées un moment après pour arrêter les profanations, échappa à leur fureur. Des chrétiens dévoués réunirent les ossements épars et conservèrent à la ville de Belley la relique vénérée de son saint évêque en la cachant dans la sacristie sous le parquet près du grand pilier qui soutient la voûte.

Dès que la paix fut rendue à l’Église de France par le concordat conclu le 15 juillet 1801 entre le pape Pie VII et le consul, l’église de Belley fut de nouveau consacrée au culte catholique.

Remise en place des reliques

D’après des arrangements pris entre le souverain pontife et le chef de la nation française, le diocèse de Belley fut réuni en 1802 à celui de Lyon (45). Alors M. Tenand (46), ancien curé de Belley fut rendu aux vœux de son peuple chéri dont il avait été séparé pendant la tourmente révolutionnaire. Son premier soin fut de découvrir le corps du saint évêque. Les fidèles ne tardèrent pas à lui faire connaître le lieu qui recelait ce précieux dépôt. Il désirait vivement tirer le corps saint de l’état d’abjection dans lequel il gisait et lui rendre publiquement l’honneur qui lui était dû en le replaçant avec pompe sur l’autel d’où il avait été arraché et où les habitants de cette province étaient impatients de le voir exposé. La mort qui vint le 27 juillet 1806 ravir ce pasteur vénérable à l’affection de son troupeau l’empêcha d’exécuter ce pieux dessein.

Son successeur exprima le même vœu au nom de la ville de Belley. Par leurs lettres du 7 juillet 1806, MM. Courbon (47) et Renaud (48), vicaires généraux de Lyon, désignèrent M. Juillet (49), curé, M. Berlioz (50), desservant de la succursale de Chazey-Bons, et M. Jordan (51), desservant de celle de Rossillon pour procéder à l’information sur le sort des reliques de saint Anthelme à l’époque de la révolution. Pendant deux jours, furent entendues les dépositions des personnes qui avaient vu porter le corps du saint à la sacristie, qui l’y avaient caché et qui déclarèrent y avoir joint en l’inhumant la tête d’une statue en pierre de la Sainte Vierge, laquelle s’y trouva effectivement. Les yeux des assistants cherchaient avec avidité à se repaître de la vue de ces saintes dépouilles qui furent placées sur une table préparée à cet effet. La satisfaction éclatait sur tous les visages : par un mouvement général et subit, on se prosterna en terre pour rendre grâces à Dieu et vénérer les précieux restes de son serviteur. Un conseil de médecins et de chirurgiens fut convoqué pour vérifier les ossements. Ils reconnurent qu’ils appartenaient tous au même sujet, quoique quelques-uns eussent été brisés le jour où le corps de saint Anthelme demeura exposé aux injures des impies et fut enfoui à la hâte dans la sacristie. Cette information solennelle établit d’une manière incontestable l’identité de ces ossements.

Le 2 août de la même année, ces mêmes dépositions furent ratifiées en présence d’un nombreux clergé et de tous les notables de la ville de Belley. Monseigneur de Balore (52), évêque démissionnaire de Nîmes et Monseigneur de Pressigny (53), son frère, ancien évêque de Saint-Malo, puis ambassadeur à Rome, archevêque de Besançon, pair de France, tous deux neveux de Monseigneur Cortois de Quincey, anciens chanoines de Belley et confrères de Saint-Anthelme, présidèrent à cette cérémonie. Ensuite, ces précieux restes furent renfermés et scellés dans un coffret en bois que l’on déposa dans la chapelle du saint.

Le cardinal Fesch, archevêque de Lyon, assisté de M. Courbon, son vicaire général, étant venu faire sa visite pastorale à Belley le 8 juin 1813, M. Guillaumot (54), successeur de M. Juillet, supplia Son Éminence de faire la vérification de la châsse.

Après la célébration des saints mystères et l’administration du sacrement de confirmation, l’archevêque se fit représenter les procès-verbaux des enquêtes dont nous venons de parler et fit paraître de nouveaux témoins. Après s’être bien assuré de l’authenticité de ces reliques, il les remit dans la châsse qu’il scella de ses armes. Elle fut reportée en procession dans la chapelle dite de Saint-Anthelme et enfermée dans une armoire à gauche de l’autel au-dessous de la fenêtre qui communique avec la nef collatérale. Pendant la cérémonie qui avait attiré un nombre infini de spectateurs, le son des cloches annonça au loin le triomphe des habitants de Belley qui voyaient reparaître au grand jour le gage de la protection du ciel sur eux et sur leurs enfants. L’archevêque garda un os du saint confesseur dont il enrichit le trésor de la primatiale de Lyon. Il promit toutefois de le rendre à l’église de Belley si, par malheur, elle venait à perdre le corps de son glorieux patron. Il avait annoncé son projet de convoquer un synode à Belley auquel seraient invités les évêques voisins et tous les prêtres de son vaste diocèse, d’y proclamer de nouveau la mémoire de saint Anthelme et de terminer cette imposante cérémonie par une procession pompeuse dans tous les quartiers de la ville après laquelle les reliques seraient solennellement replacées sur l’autel. Tout le monde connaît les circonstances qui s’y sont opposées (55).

Rétablissement du diocèse de Belley

Les habitants de Belley croient devoir à leur saint patron le rétablissement même de l’évêché. En mémoire de saint Anthelme, Monseigneur de Pressigny, ambassadeur à Rome, en posant les bases du concordat de 1817, fit tous ses efforts pour obtenir que cet antique diocèse reprenne son rang parmi ceux de France.

Dès son arrivée dans cette ville en 1823, Monseigneur Devie se hâta de placer son diocèse sous la protection de saint Anthelme. Il mit en œuvre toutes les ressources de son zèle pour rendre à son culte l’éclat dont le malheur des temps l’avait dépouillé. Le 25 juin 1824, il vérifia les reliques en présence d’un grand nombre de témoins parmi lesquels se trouvait M. Rey, vicaire général de Chambéry, aujourd’hui évêque d’Annecy, auquel il donna une côte du saint pour la paroisse de Chignin en Savoie. Enfin, inspiré par sa dévotion particulière et déterminé par l’élan religieux du clergé et du peuple, le vénérable évêque de Belley résolut en 1829 d’exécuter le projet d’une translation solennelle que les événements de 1814 avaient fait malheureusement ajourner et de replacer avec pompe les saintes reliques sur l’autel d’où l’impiété les avait arrachées en 1793. L’antique confrérie de Saint-Anthelme était presque entièrement désorganisée. Par un abus qui était passé en coutume, les jeunes gens de la classe noble ou bourgeoise non engagés dans les liens du mariage étaient les seuls inscrits de droit dans le catalogue. Les pauvres, que le saint avait tant aimés, n’étaient pas admis au nombre des enfants de Saint-Anthelme (56). Monseigneur Devie, comprenant tout ce que cette distinction avait de contraire aux principes de l’Église rétablit cette confrérie sur une base plus large. Il voulut que les rangs en fussent ouverts à tous les fidèles de Belley, même aux jeunes adultes qui, dès lors, y furent reçus comme aspirants. Le règlement qu’il donna à cette pieuse association est un monument de la sagesse et de la charité du digne successeur de saint Anthelme. Le souverain pontife, Léon XII, approuva ces dispositions. Par un bref, en date du 21 janvier 1829, Sa Sainteté daigna accorder, à perpétuité, aux confrères de Saint-Anthelme :

  1. une indulgence plénière le jour de leur entrée dans la confrérie,
  2. une indulgence plénière quand ils communieront avec les conditions requises le jour indiqué par l’évêque,
  3. une indulgence plénière à l’article de la mort.
Par un bref de la même date, le pape accorda encore, à perpétuité :
  1. une indulgence plénière aux personnes qui, le jour de la fête de saint Anthelme ou dans l’octave, communieront et visiteront sa chapelle,
  2. une indulgence plénière à ceux qui suivront l’exercice de la neuvaine préparatoire,
  3. enfin une indulgence de quarante jours aux fidèles, chaque fois qu’ils iront prier un moment devant la relique.

Encouragé par les dispositions si bienveillantes du chef de l’Église, Monseigneur Devie fit réparer à grands frais la chapelle de Saint-Anthelme. Il commanda un riche reliquaire à un orfèvre de la capitale. Le prélat fit connaître ses intentions dans tout le diocèse par un mandement plein d’éloquence et de piété. Les évêques voisins furent invités à la cérémonie. Les exercices d’une neuvaine disposèrent, huit jours d’avance, les habitants de Belley à célébrer saintement cette fête.

Par suite d’un malentendu avec l’ouvrier, le reliquaire arrivé de Paris fut trop petit ; l’embarras fut grand. Cependant, la cérémonie ne pouvait être indéfiniment renvoyée. Les religieuses de la Visitation d’Annecy prêtèrent un reliquaire qui avait contenu jadis les restes mortels de sainte Chantal. Le corps de saint Anthelme, solennellement reconnu, puis habillé en chartreux, fut placé dans cette châsse en présence de MM. les chanoines, des médecins et d’un grand nombre de notables de la ville. La cérémonie de la translation fut fixée au 26 juin 1829. Elle fut finalement différée (57) jusqu’au mardi 30. Après une semaine de pluies continuelles, le jour tant désiré parut serein et brillant comme la vertu dont il devait éclairer le triomphe. Dès la veille, l’évêque d’Annecy avec quelques chanoines de sa cathédrale et Monseigneur l’archevêque de Chambéry, accompagné de tout son chapitre, s’était rendu à Belley. Quatre cents prêtres et plus de dix mille personnes avaient accouru de toutes les provinces voisines et des diocèses les plus éloignés pour assister à cette brillante translation.

La grand-messe fut célébrée par l’archevêque de Chambéry. Cet honneur lui était dû à plus d’un titre, mais surtout à celui d’être l’évêque du lieu qui avait vu naître saint Anthelme. Une nombreuse musique, des voix mélodieuses formaient un concert ravissant et semblaient porter jusqu’au ciel les sentiments de piété qui animaient tous les cœurs. Toute la matinée fut employée par les prêtres de la paroisse à administrer la sainte communion aux fidèles. Vers onze heures, le cortège qui devait accompagner dans la ville les restes du saint évêque se mit en mouvement. La marche était ouverte par un détachement de gendarmerie. Venaient ensuite,

  1. les enfants des écoles chrétiennes, présidés par les frères,
  2. les demoiselles de Belley et des paroisses voisines, habillées en blanc,
  3. les sœurs de Saint-Joseph et autres religieuses, avec leurs écoles,
  4. les dames habillées en noir,
  5. les élèves du petit séminaire, avec leurs professeurs,
  6. la croix du chapitre et du clergé, sous laquelle marchaient plus de quatre cents prêtres ; puis les chapitres de Belley et de Chambéry,
  7. la châsse, réfléchissant avec éclat les rayons du soleil, était portée par huit chanoines en habit de chœur au milieu des trois évêques de Belley, de Chambéry et d’Annecy dont la présence ajoutait tant à ce triomphe,
  8. les confrères de Saint-Anthelme, au nombre de plus de cent avec un cierge à la main formaient deux lignes à côté de la châsse.
  9. C’était la place qui leur convenait puisqu’elle les rapprochait de leur saint patron. En 1630, lorsque Monseigneur de Passelaigue fit la première translation du corps du saint évêque, les confrères furent ainsi placés autour de la châsse pour former une escorte d’honneur,
  10. marchaient immédiatement après le clergé, les autorités civiles et judiciaires revêtues de leurs insignes. Elles étaient suivies par un nombre infini de fidèles de toutes les conditions et de tous les âges,
  11. la compagnie des pompiers de la ville de Belley et la garnison du fort de Pierre-Châtel formaient deux haies sur toute la longueur de la procession, que fermait un piquet de gendarmerie.
Le cortège ainsi composé parcourut les principales rues de la ville tendues et décorées de guirlandes en fleurs artistement rangées. Le bruit de la mousqueterie, le chant des cantiques, entrecoupé par des concerts d’une musique harmonieuse, mettait le comble à l’appareil de cette marche triomphale.

La vue du monument qui renfermait les restes du saint évêque suscita une vive émotion et un profond silence dans de la foule. Tous se prosternaient à son passage en élevant vers le saint protecteur de la ville de Belley des mains suppliantes et des regards pleins d’espérance.

À midi et demi, le cortège rentra à la cathédrale et les saintes reliques furent déposées sur l’autel de la chapelle consacrée à saint Anthelme. Après les vêpres, le panégyrique du saint fut prononcé par M. de Ferroul-Montgaillard, vicaire général de Saint-Claude. Depuis le matin, une foule immense se pressait et se succédait dans la cathédrale autour des saintes reliques et la nuit était déjà bien avancée dans sa course que les fidèles remplissaient encore l’église. Des milliers de cierges, emblèmes de la ferveur des chrétiens, demeurèrent allumés autour du monument et des ex-voto de toute espèce furent attachés aux murailles par les mains de la reconnaissance.

Tel est le spectacle édifiant dont toute la ville de Belley fut témoin à cette époque. Le souvenir en restera longtemps célèbre dans les fastes de ce diocèse. Que pouvait faire de plus l’Église de la terre pour un habitant du ciel ?

La joie pure et douce qui fut empreinte sur tous les visages pendant ce beau jour éclata de nouveau d’une autre manière la nuit même. La veille, toutes les maisons avaient été illuminées, mais la pluie et le vent avaient contrarié cette réjouissance publique, tandis qu’au contraire un temps à souhait la favorisa la nuit du 30 juin. Chacun avait rivalisé de zèle et d’empressement ; aussi l’illumination offrait le plus ravissant spectacle. Des emblèmes ingénieux, des transparents en grand nombre rappelaient les principaux traits de la vie de saint Anthelme. Le nom de père lui était prodigué partout : effectivement, les enfants de saint Anthelme célébraient une fête de famille. Les rues étaient remplies par une foule de personnes qui se saluaient du nom de cousin. La différence des rangs et des opinions avait disparu devant cette tendre charité qu’inspirait la présence des restes d’un saint évêque qui fut un modèle de l’amour du prochain. On vit plus d’un ennemi donner en public le spectacle de la réconciliation. Les vieillards racontaient l’enthousiasme que produisait de leur temps la fête du saint protecteur de Belley. Ils bénissaient Dieu du spectacle édifiant de cette journée qui était une réparation de celle du 6 décembre 1793. La jeunesse se félicitait de voir renaître avec éclat une solennité qui, de tout temps, fut pour les habitants de Belley un jour de bonheur, lors même qu’ils sont loin de leur patrie.

Pendant un an, en commémoraison de cette translation, Monseigneur Devie célébra la sainte messe tous les mardis dans la chapelle où repose la relique et une foule de fidèles se pressait autour de l’autel de leur saint protecteur. Les troubles politiques qui éclatèrent l’année suivante et qui semblaient devoir être si funestes à la religion ne firent qu’augmenter la dévotion à saint Anthelme parmi le peuple dont la confiance en leur saint patron se manifesta surtout dans les calamités publiques. Pour nourrir et fortifier cet élan religieux, l’évêque statua définitivement qu’une neuvaine en l’honneur de saint Anthelme aurait lieu dans la cathédrale toutes les années et commencerait le soir du 17 juin et que la châsse serait exposée la veille de la fête à midi et demeurerait sur l’autel pendant toute l’octave. Il voulut en outre que, le troisième dimanche de chaque mois, la première messe de paroisse, à laquelle on fait un prône, fût à l’avenir et à perpétuité célébrée dans la chapelle de saint Anthelme. Une ordonnance épiscopale, en date du 1er mars 1829, avait déjà désigné ce dimanche pour le jour où les confrères de Saint-Anthelme pourraient gagner l’indulgence plénière accordée par le bref du 21 janvier 1829.

Mais tous ces trésors spirituels, toutes ces grâces n’étaient que pour les grandes personnes.

Célébration pour les enfants

Les enfants que saint Anthelme, à l’exemple du Sauveur, affectionna toujours si tendrement n’y avaient aucune part. Le zèle industrieux de Monseigneur Devie lui suggéra le projet d’établir une cérémonie religieuse en leur faveur. Elle était trop touchante et trop conforme aux sentiments de la tendresse maternelle pour que l’exécution n’en fût pas vivement sollicitée par les chefs de famille. Il fut donc décidé que, le 27 juin de chaque année, tous les enfants, jusqu’à l’âge de raison seraient amenés à la cathédrale et que le prélat, environné d’un grand appareil les bénirait et les vouerait à saint Anthelme. Dans la vaste église de Saint-Jean, les mères accouraient, portant dans les bras les plus petits de leurs enfants, tandis que les autres, déjà plus forts, les suivaient pleins de joie. Ces nombreuses familles qui n’en font plus qu’une, celle de saint Anthelme, inondaient les immenses nefs. L’émotion était peinte sur le visage des parents qui imploraient les bénédictions du saint sur les tendres objets de leurs affections. Mille langues enfantines bégaient le nom de saint Anthelme, les voûtes le répétaient. Tout à coup, un silence profond, qui succéda à ce bruit, annonça que le prélat était en chaire. Tous les yeux étaient fixés sur lui. Il parlait d’Anthelme, il bénissait ces nombreux enfants en son nom et les consacrait à ce puissant protecteur. La foule attendrie s’écoulait et le nom d’Anthelme était répété par toutes les bouches.

Une scène non moins attendrissante avait lieu le matin de ce même jour dans la chapelle du saint. À huit heures, les confrères s’y rassemblaient conviés par la charité qui leur faisait un devoir de venir verser des larmes et des prières sur la tombe des membres défunts de la confrérie.

Tous les jours, la foi et la reconnaissance amenaient des fidèles, souvent même de très loin, autour de la châsse qui contient ses reliques. Cette châsse est celle que Monseigneur Devie fit confectionner après la translation pour remplacer le reliquaire appartenant aux religieuses de la Visitation d’Annecy et qui leur fut rendue en 1830. Elle est en bois, couleur d’acajou en forme de tombeau avec des ornements dorés. Le corps du saint revêtu d’une chape de drap d’or richement brodée est visible à travers deux grandes vitres. C’est un tribut de vénération et de reconnaissance offert à saint Anthelme en 1835 par M. Cauchy, secrétaire-archiviste de la chambre des pairs.

SourcesHistoire hagiologique de Belley :
  • de Surins, Vitae Sanctorum, 26 juin
  • de l’ouvrage du chanoine Piergiacinto Gallizia di Giaveno, intitulé : Atti de sancti che Fiorirono ne Domini della reale Casa di Savoia, tom. IV
  • d’une Vie et d’un Panégyrique de saint Anthelme, par M. Monier, chanoine et théologal de Belley, I vol. in-I2, Lyon, 1633
  • d’un ouvrage intitulé : Vita et translatio sancti Anthelmi Bellicensis Épiscopi, I vol. in-32, Paleopoli Belgarum, 1634
  • d’une ancienne Vie manuscrite de saint Anthelme, par J.-B. Balme
  • d’une Vie de saint Anthelme, par J. C., I vol. in-I 2, Lyon, 1820
  • du Theatrum chronologicum cartusiensis ordinis, par Marozzo
  • de l’Histoire chronologique des prélats nés dans les États des souverains du Piémont, par Francesco Agostino della Ghiesa, évêque de Saluces
  • de l’Histoire des Saints de l’ordre des Chartreux, par le P. de Tracy
  • des Éphémérides de l’ordre des Chartreux, par Dom Levasseur, manuscrit considérable qui est à la Grande Chartreuse
  • de l’Histoire de l’Église, par Fleury
  • de l’Histoire de l’Église, par Berault-Bercastel
  • de l’Histoire de l’Église gallicane, par Longueval
  • de divers documents tirés des archives de l’évêché de Belley, et que nous avons réunis dans un recueil intitulé : Archives saintes de Belley, ouvrage faisant suite à cette Histoire hagiologique, etc., etc.

Notes

(1) On appelle Correrie le bâtiment séparé de la maison claustrale où demeuraient les frères convers et le procureur qui y tenait la place du prieur en qualité de vicaire. Le prieur y allait passer une semaine, après en avoir passé quatre avec les moines de la maison d’en haut. Les étrangers étaient reçus, traités et logés à la Correrie. Retour

(2) Six moines et un novice furent pris sous les décombres. Douze jours après, l’un d’eux fut retrouvé sans blessures, mais suffoqué par le grand air, il n’eut que le temps de recevoir les derniers sacrements, et mourut en donnant le baiser de paix à ses confrères. Retour

(3) Hugues II, d’abord chartreux, puis évêque de Grenoble par Innocent II alors que saint Hugues était encore vivant et retiré dans la solitude. Il fut transféré à la métropole de Vienne en 1146. Gallizia assure qu’il quitta son siège pour aller à la Chartreuse de Portes où il mourut à Portes le 13 janvier 1155 ou 1157 en odeur de grande sainteté. Retour

(4) D’une illustre famille, le bienheureux Dom Guigue naquit au château de Saint-Romain en Dauphiné. Il fut d’abord doyen de l’Église de Grenoble puis prieur de la Grande-Chartreuse pendant trente-sept ans. Il mourut le 27 juillet 1139. Hugues 1er lui succéda et se démit en 1139 avant de mourir en 1146. Retour

(5) 2 Co 11.29. Retour

(6) C’est pour cette raison que les chartreuses de Portes et de Meyria furent gouvernées longtemps par les archevêques de Lyon. Faulcon les mit sous la direction d’Anthelme. (Guichenon.) Retour

(7) Le Bienheureux Jean l’Espagnol, appelé ainsi parce qu’il était né en Espagne, fut prieur de la chartreuse du Reposoir en Faucigny, où il mourut en odeur de grande sainteté le 25 juin 1160. Il s’opéra des miracles à son tombeau, et Charles-Auguste de Sales, évêque de Genève, leva son corps de terre en 1649. Retour

(8) Il y avait une maison de chartreusines à Polleteins en Bresse. Marguerite de Bâgé, femme d’Humbert de Beaujeu, en est la fondatrice. Elle y mourut en réputation de grande sainteté. Retour

(9) Saint Bernard naquit en 1091 près de Dijon, au bourg des Fontaines dont son père était seigneur. Ses talents et sa naissance lui assuraient un rang distingué dans le monde, mais il forma de bonne heure le projet de s’en séparer pour se retirer au monastère de Citeaux avec de nombreux amis, tous de la première noblesse, son oncle Gualdéric, seigneur de Touillon, et ses cinq frères. Thescelin, leur père, et Hubeline, leur sœur, embrassèrent plus tard la vie religieuse. À l’âge de vingt-quatre ans, saint Bernard devint abbé de Clairvaux. Par sa science et sa piété, il devint une lumière éclatante de l’Église, l’arbitre des papes et des rois. Il mourut le 10 août 1153. Il fut canonisé en 1174. Retour

(10) C’est Bazile de Bourgogne qui établit la tenue annuelle du chapitre général de l’ordre. Pierre le Vénérable avait pour lui la plus grande estime comme l’attestent ses lettres 40 et 41 qui lui sont adressées. Il fut prieur jusqu’à sa mort qui survint le 14 juin 1173. Retour

(11) Des prodiges du même genre sont attestés dans les vies de saint François Régis, de sainte Jeanne-Françoise de Chantal et de saint Louis de Gonzague, etc. Retour

(12) Mt 6.20. Retour

(13) Ce prélat, issu d’une maison ancienne et illustre d’Auvergne, était frère de Pierre le Vénérable, abbé de Cluny. Il fut archevêque de Lyon en 1153 et mourut en 1163. Retour

(14) Frédéric Barberousse avait des prétentions sur tout l’ancien Empire romain. Il consulta les docteurs en droit de la faculté de Bologne qui le confirmèrent dans ses vues ambitieuses conjointement avec le fameux Barthole qui, simple laïc, n’hésita pas à déclarer hérétiques tous ceux qui oseraient douter de la monarchie universelle des empereurs romains. Cette décision montre que la jurisprudence civile avait aussi ses excès. Retour

(15) La France a accueilli de nombreux papes malheureux et persécutés. Retour

(16) Il fut disciple d’Abeilard et secrétaire de saint Bernard. Il a composé plusieurs ouvrages pieux. Retour

(17) Hautecombe, abbaye de bénédictins, au bord du lac du Bourget, au pied du mont du Chat, fut fondée en 1125 par le comte Amédée III, prince de Savoie, à trois lieues de Belley et de Chambéry. Elle a fourni à l’Église les papes Célestin IV et Nicolas III. C’était la sépulture des ducs de Savoie. Elle fut ruinée pendant la révolution et restaurée en 1825 par le roi Charles-Félix qui l’a dotée en faveur des religieux bernardins.

Claude de Stavayer, évêque de Belley en 1507, avait été abbé d’Hautecombe. Il y construisit une belle chapelle pour servir de lieu de sépulture à lui et à ses successeurs. Elle porte encore aujourd’hui le nom de Chapelle des évêques de Belley. Retour

(18) I. Co XI, 19. Retour

(19) Ces désordres sont un mal nécessaire qui résulte de la liberté que Dieu laisse à l’homme de faire le bien ou le mal au cours de sa vie terrestre. Il récompense ou punit dans l’autre monde selon le bon ou le mauvais usage que l’homme fait de ses lumières et de ses grâces. Les persécutions sont prédites dans l’Évangile. Elles ne doivent pas affaiblir notre foi. Elles sont une nouvelle preuve de la vérité des promesses qui nous sont faites. Elles prouvent que Dieu veille sur son Église, que l’enfer ne prévaudra jamais contre elle et qu’il récompensera ceux qui se préserveront de l’erreur et persévéreront jusqu’à la fin.
Si l’Église était toujours en paix, il n’y aurait pas de mérite à suivre ses lois et à se montrer chrétien. Retour

(20) Louis VII est le second fils de Louis VI, dit « le Gros », roi des Francs, et d’Adélaïde de Savoie. Né en 1120, il fut dit « le Jeune » puis « le Pieux ». Il fut roi de France de 1137 à 1180 et mourut à Paris en 1180. Retour

(21) De la famille de Thoîre en Bugey, mort en 1162. Retour

(22) Fleury, Histoire ecclésiastique, livre LXX. Retour

(23) L’accord unanime du clergé et de la ville de Belley à demander Anthelme pour évêque et la répugnance qu’il témoigna contredisent la biographie universelle qui prétend qu’Alexandre éleva le saint chartreux à la dignité épiscopale pour le récompenser de ses courageux services. Il est évident que le doigt de Dieu paraît seul dans cette nomination, et que les passions humaines y furent étrangères. Retour

(24) Saint Anthelme se retirait souvent dans une cellule qu’il avait dans une tour de son palais. Cette tour, qui a toujours porté son nom, fut détruite lorsqu’en 1766 Mr Gabriel Cortois de Quincey commença à construire le palais épiscopal actuel, qui a été achevé en 1780. Retour

(25) Ex quo, illustrissime Rex, vestrae serenitatis sublimitas, parvitatem Carthusiensis domûs, suam nobis præsentiam exhibendo, visitare dignata est, in armariolo nostri pectoris, eâ quâ potuimus dilectione suicepimus. Tunc enim ut ità dicamus nostris visceribus incorporati estis, verùm nec facilè eruemini ; nunc quoque Dei voluntate nescio aut disponente, aut permittente Ecclesiæ Bellicensis qualiscumque designalus episcopus, nostris orationibus vestri memoriam babentes, preces pro vobis et regni stabilitate fundimus ad Deum. Proindè magnificentiæ vestræ suggerimus, ut humanis favoribus plus quàm vobis non credatis. Misericordiam, et judicium, benignitatem et mansuetudinem, ac similia imitemini quæ scilicet insignia sunt regiæ dignitatis ; de cætero Majestati Vestræ supplicamus quatenùs cuidam nepoti nostro carnali Parisiis studenti, pro Dei et nostri a more undè sustentari et sapientiæ intendere possit subvenire dignemini. Valete. Retour

(26) D’après la tradition bien conservée, ce fait se serait passé dans les environs de Pierre-Châtel. Retour

(27) Thomas Beckey naquit à Londres en 1117. Il se fit un nom célèbre dans la jurisprudence et devint chancelier d’Angleterre. Henri II l’éleva en 1162 sur le siège de Cantorbéry malgré bien des résistances de sa part. Les courtisans peu satisfaits de sa fermeté irritèrent le roi contre lui. Dans un accès de colère, Henri s’écria un jour ; « Est-il possible qu’aucun de ceux que j’ai comblés de bienfaits ne me venge d’un prêtre ! » Aussitôt, Raymond, Hugues de Morville, Guillaume de Traci et Richard de Bréton quittèrent le château de Bures en Normandie où était la cour, traversèrent la mer, et allèrent assommer avec une massue le prélat au pied de l’autel. Retour

(28) Morozzo, Charles-Joseph, dans son Theatrum Chronologicum Cartusiensis ordinis. Retour

(29) Ces bulles, nommées Bulles d’or, ont été soigneusement gardées par le chapitre de Belley, jusqu’au moment de la révolution. Elles furent brûlées à cette époque fatale avec tous les papiers des archives. Le sceau en or ne périt pas. En 1825, il a été rendu à Mr Alexandre-Raymond Devie, par M. Dumolin, receveur de l’arrondissement de Belley. Il porte d’un côté  : Fredericus Rom, Imper., de l’autre  : Roma caput mundi régit orbis frccna rotundi. Guichenon a conservé le texte de ces bulles qui est inséré ci-dessous.

Bulles d’or délivrées par Frédéric Barberousse à Anthelme, évêque de Belley.

In nomine sanctæ et individuæ Trinitalis : Fredericus, divinâ favente clementiâ, Romanorum imperator Augustus. Ad imperialis excellentiæ dignitatem pertinet, Ecclesias Christi in imperio constitutas, cum earum universis pertinentiis, salvas conservare, et eorum, quos in Dei, suoque devoto invenit obsequio, commodis et profectibus clementer aspirare. Quapropter, omnibus imperii nostri fidelibus, notum esse volumus ; quod nos divinæ retributionis intuita, Bellicensem Ecclesiam sancti Joannis Baptistæ, ipsumque fidelum nostrum Anthelmum episcopum, ejusque successores épiscopos, canonicos, ejusque possessiones, et homines, tam ad episcopum, quàm ad canonicos pertinentes, ipsam quoque civitatem, cum omnibus appendiciis, in nostram suscepimus protectionem, quatenùs et episcopus, et ejus canonici sub nostrâ pace securi permaneant, liberiùs Deo serviant, et pro nobis successoribusque nostris, orationes assiduas apud Deum devotiùs effundant. Ad hæc quoque omnia civitatis regalia, videlicet, monetam, telonium, pedagium, ripaticum aquaticum, pascua, piscationes, venationes, silvas, stirpaticum, et omne districtum, et jurisdictionem civitatis, et suarum possessionum jam dicto episcopo, ex nostrâ benignitate concessimus, salvâ in omnibus imperiali justitiâ. Unde statuimus, imperiali auctoritati firmiter inbærentes, ut nulla persona sæcularis, ecclesiastica, magna vel parva, dux, marcbio, comes, vassalus, bannum quod episcopus in civitate posuerit, infringere præsumat; nec in homines præfatæ Ecclesiæ aliquam exactionem faciat, nec ad judicium illos trahat, aut in hostem ire compellat. Concessimus insuper eidem episcopo, ut civitatem claudat, et munitionibus circumdet, et muniat ; mercatbres quoque inbabitantes, in negotiationibus euntes et radeuntes, per universum imperium nostrum transitum habeant securum ; soli quoque episcopo liceat, ut in hominibus suis, in civitate, et extrà positis, justitiam exerceat, et eos in hostem ire compellat, et debitum ab eis servitium requirat et accipiat. Si quis autem edicti nostri temerario ausu transgressor exstiterit, quinquaginta libras auri pari, pro satisfactione componat, dimidiam partem cameræ: nostræ, et reliquam episcopo et ecclesiæ. Ut igitur nostræ largitatis donatio perpetuo rata maneat et inconcussa, chartam inde bhanc conscribi, et sigillo nostræ majestatis jussimus insigniri.

Ego Gottofredus, Philippi Coloniensis archiepiscopi, et Italici regui arcbicancellarii vice, recognovi ; acta sunt hæc anno dominicæ Incarnationis 1175. Indict. S. Regnante Domino Frederico Rom. imperatore gloriosissimo, anno regni ejus 24 ; imperii 22 : datum in obsidione Taboreli 7. Kal. aprilis, féliciter. Amen. Retour

(30) Ces privilèges étaient de battre monnaie, de talon et mesure de péage, de rivage, de rivière, de pâturage, de pêche, de chasse, de chauffage, souche et mort bois. La monnaie que faisaient battre les évêques de Belley portait d’un côté une dextre et cette légende  : Ecclesia Bellicensis, et sur le revers une tête d’homme avec ces mots  : S. Joannes-Baptista. On avait mis une main sur ces pièces en mémoire de la main droite du saint précurseur, longtemps vénéré dans la cathédrale. Le privilège de battre monnaie fut supprimé par François Ier, qui fit la conquête de la Bresse, du Bugey et de la Savoie, sur Charles III, son oncle, en 1536. Retour

(31) Saint Pierre de Tarentaise dont on fait la fête le 8 mai. Retour

(32) Saint Ambroise refusa l’entrée de l’église à l’empereur Théodose avant qu’il eût expié le crime dont il s’était rendu coupable en faisant périr sept mille habitants de la ville de Thessalonique qui avaient mutilé ses statues. Retour

(33) Thomas Ier fut père de Boniface de Savoie, qui devint évêque de Belley, administrateur du diocèse de Valence, et ensuite archevêque de Cantorbéry. Retour

(34) Un tel prodige peut étonner certaines personnes qui peuvent penser que l’interprétation est due à l’ignorance de l’époque. Dieu récompensait la foi vive des personnes par des miracles comme Jésus-Christ l’avait promis.

C’est à tort que des disciples de Voltaire parlaient avec mépris du siècle auquel appartient ce fait qu’ils appelaient l’âge d’ignorance, puisque c’est l’époque où introduits les chiffres arabes dans le calcul, où furent inventés le papier, la poudre à canon, la boussole, la peinture à l’huile, la peinture sur verre. Les horloges à balancier, le feu grégeois, les moulins à vent, la gravure, la gamme, la musique à plusieurs parties, l’imprimerie vinrent s’ajouter à cette longue série d’inventions utiles. La création de l’Université et des écoles de médecine de Paris et de Montpellier appartient à cette époque. C’est également l’époque où furent construites ces magnifiques églises gothiques, dont la hardiesse, la beauté et la richesse des ornements étonnent tous les voyageurs. Ces découvertes prouvent qu’alors on avait au moins autant d’esprit qu’aujourd’hui, et plus de bon sens, et que la religion que l’on professait fidèlement n’étouffait pas les lumières.

On peut voir l’apologie des siècles dont nous venons de parler dans les mélanges philosophiques de sir James Mackintosh, dont l’analyse se trouve dans le journal de Genève, intitulé  : Bibliothèque universelle, no du mois de mars 1829. Retour

(35) Le droit de régale était celui que percevait le souverain pendant la vacance d’un siège, d’une abbaye ou d’un bénéfice. Jacques de Saint-André, 65e évêque de Belley, racheta en 1333 le droit que les comtes de Savoie prétendaient avoir sur tous les biens et la justice de l’évêché pendant la vacance du siège. Retour

(36) Voir Baillet, Discours sur l’Histoire de la Vie des Saints, no XCVII et XCVIII. Retour

(37) Mgr de Passelaigue, né à Sancoins, dans le diocèse de Bourges, fut abbé de Hambuye, de l’ordre de Saint-Benoît au diocèse de Coutance, prieur de l’abbaye de la Charité sur Loire, vicaire général de l’ordre de Cluny et ordonné évêque de Belley, â Mâcon, le 24 mai 1630. Il établit, cette même année, les religieuses de Sainte-Ursule, dans sa ville épiscopale. Il fit des statuts synodaux, obtint de Louis XIII la confirmation des privilèges accordés à son Église par l’empereur Frédéric Barberousse, et mourut à Belley en 1663. Retour

(38) Jean-Pierre Camus naquit à Paris en 1582. Il fut nommé évêque de Belley à l’âge de 26 ans par Henri  IV et ordonné à Belley le 31 août 1609 par saint François de Sales dont il gagna l’amitié par ses talents et son zèle pour la conversion des pécheurs et des hérétiques. Ce fut lui qui établit les capucins à Belley en 1620 et les religieuses de la Visitation en 1622. Après vingt ans de travaux, il se démit de son évêché pour s’occuper de sa propre sanctification dans l’abbaye d’Aulnay que le roi lui donna en acceptant sa démission. Il refusa l’évêché d’Amiens et se retira à l’hôpital des Incurables à Paris où il mourut en 1652 à l’âge de 70 ans avant d’avoir reçu les bulles pour l’évêché d’Arras, où il avait été nommé en 1651. Ce prélat avait une imagination si féconde qu’il a laissé plus de deux cents volumes sur différents sujets de controverse, de morale et de spiritualité. Retour

(39) François Genand, capucin, et Monyer, chanoine théologal de la cathédrale, tous deux auteurs d’une relation de cette cérémonie. Retour

(40) Voir les Bollandistes, l’ouvrage de M. Monyer, déjà cité, et le petit ouvrage intitulé  : Vita et translatio S, Anthelmi, Bellicensis Episcopi ; Paleopoli Belgarum, 1634. Retour

(41) Isaïe, 35. Retour

(42) Né à Dijon en 1714, ordonné le 22 août 1751. C’est lui qui a bâti le palais épiscopal de Belley. Il mourut le 13 janvier 1791. Retour

(43) Albitte, représentant du peuple. Retour

(44) 615 ans. Retour

(45) Il y eut 54 évêchés supprimés à cette époque. Retour

(46) Avant 1792, M. Tenand était curé de l’église Saint-Laurent de Belley détruite pendant la révolution. En 1802, celle de Saint-Jean devint église paroissiale. Retour

(47) M. Courbon, mort le 8 février 1824. Retour

(48) M. Renaud, mort le 12 octobre 1825. Retour

(49) M. Juillet, mort le 21 août 1811. Retour

(50) M. Berlioz, chanoine de Belley, mort le 18 septembre 1828. Retour

(51) M. Jordan, chanoine de Belley, mort le 24 février 1831. Retour

(52) Mort à Paris le 19 octobre 1812. Retour

(53) Mort archevêque de Besançon, le 22 mai 1823. Retour

(54) Mort le 25 janvier 1829. Retour

(55) Le cardinal Fesch fut obligé de quitter la France le 20 mars 1814 parce qu’il appartenait à la famille proscrite de Bonaparte dont il était l’oncle maternel. Retour

(56) C’est ainsi qu’on appelle à Belley les confrères de Saint Anthelme. Retour

(57) En 1829, la fête de saint Anthelme tombait le vendredi, fête du Sacré-Cœur. Les fidèles auraient été exposés à violer la loi de l’abstinence et MM. les curés n’auraient pu quitter leur paroisse pour assister à la translation. Retour