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Sainte Jeanne-Françoise de Chantal



Dernière mise à jour
le 17/02/2022

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Fête 12 août depuis 2003
12 décembre fêtée à cette date jusqu’en 2003
Naissance23/01/1572
Mort13/12/1641
Saints contemporains
NomNaissanceMortFonction
saint Charles Borromée02/10/153804/11/1584archevêque de Milan
saints du Japon1597
saint François de Sales21/08/156728/12/1622évêque de Genève
saint Vincent de Paul24/04/158127/09/1660
Hommes contemporains
NomNaissanceMortFonction
Charles IX 27/06/1550 30/05/1574 roi de France
Frédéric Borromée 16/08/1564 21/09/1631 archevêque de Milan
Henri III 19/09/1551 02/08/1589 roi de France
Henri IV 13/12/1553 14/05/1610
Horace Folch Cardony, Horace Cardonvers l’an 1565 21/06/1641
Jacques I 19/06/1566 27/03/1625 roi d’Angleterre
Jean-Pierre CAMUS 04/11/1584 25/04/1652 évêque de Belley
Louis XIII 24/09/1601 14/05/1643 roi de France
Louis XIV 05/09/1538 01/09/1715 roi de France
Marie de Médicis 26/04/1575 03/07/1642
Pierre de Bérulle 04/02/1575 30/02/1627 cardinal
Pierre de Villars 1588 1662 archevêque de Vienne

Liste des chapitres

Origine et naissance

Jeanne-Françoise de Chantal est fille de Bénigne Frémiot(1), président au Parlement de Bourgogne, connu par son attachement à Henri IV, durant la Ligue(2). Il ne s'est pas rendu moins célèbre par sa piété, et par sa modestie qui lui fit refuser la place de premier Président qu'on lui offrait. De son mariage avec Marguerite de Berbisy naquirent trois enfants, Marguerite qui épousa le Comte d'Effran, Jeanne, et André qui mourut Archevêque de Bourges.

Jeanne vint au monde à Dijon le 34 Janvier 1673. Lorsqu'on lui administra le sacrement de Confirmation, elle ajouta le nom de Françoise à celui de Jeanne qu'elle avoit reçu au Baptême.

Jeunesse de Jeanne-Françoise de Chantal

Le Président Frémiot devint veuf, lorsque ses enfants étaient encore en bas âge. Il prit un soin particulier de leur éducation ; il les éleva dans de grands sentiments de piété, et leur fit apprendre tout ce qui devait un jour leur être nécessaire dans le monde. Jeanne fut celle qui répondit le mieux à ses vues ; aussi avait-il pour elle une tendresse particulière.

Elle montra dès ses plus tendres années un zèle ardent pour la religion catholique, et on la vit, à l'âge de cinq ans, reprendre avec force un hérétique qui attaquait le dogme de la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie.

Quelques années après, elle évita les pièges que lui tendait une femme intrigante et corrompue, et conserva son innocence dans toute sa pureté par le secours spécial de la sainte Vierge. Pendant le séjour qu'elle fit chez sa sœur, on voulut la marier à un gentilhomme qui possédait de grands biens. Ayant appris que l'époux qu'on lui destinait était Calviniste, elle renonça à ce mariage, quelque avantageux qu'il fût selon le monde.

Mariage avec le baron de Chantal

Quand elle eut atteint sa vingtième année, son père la maria au Baron de Chantal, l'aîné de la maison de Rabutin. C'était un Officier de vingt-sept ans qui servait avec distinction, et qu’Henri IV honorait de sa faveur. Le mariage fut célébré à Dijon. Quelques jours après le Baron conduisit son épouse à Bourbilly, où il faisait sa résidence ordinaire. Jeanne-Françoise de Chantal trouva une maison où l'on connaissait peu ce que c'étoit que régularité. Les abus avaient été principalement occasionnés par les fréquentes absences du Baron. Elle travailla d'abord à les corriger. Son premier soin fut de veiller sur les domestiques, de leur faire pratiquer les devoirs de la Religion, et de les obliger d'assister tous les soirs à la prière qui se faisait en commun. Les Dimanches et les grandes Fêtes, elle les envoyait à la messe à la Paroisse. Les autres jours, ils l'entendaient dans la Chapelle du Château de Bourbilly. Chacun avait son emploi, et des heures marquées pour le remplir. Tout était prévu afin d'éviter le désordre et la confusion, ordinairement si préjudiciables aux familles.

La vie de la famille

Lorsque le Baron était forcé de s'absenter, pour aller soit à la Cour, soit à l'armée, sa pieuse épouse se tenait renfermée dans sa maison. Rarement elle faisait ou recevait des visites. Par-là elle évitait la dissipation, et se livrait toute entière aux soins que demandaient ses enfants et ses affaires domestiques. Le temps ne lui paraissait pas trop long. Elle savait l'employer utilement. On ne la voyait jamais comme les femmes mondaines chercher de vains amusements pour se distraire, ou pour éviter l'ennui. Elle employait ses moments de loisir à travailler, à prier, ou à faire des lectures pieuses. Mais lorsque son mari était de retour, elle cherchait à lui plaire, en lui procurant des plaisirs innocents. Elle attirait chez elle les compagnies qui lui étaient agréables. Elle abrégeait même ses exercices de piété, et se prêtait à des complaisances que l'esprit de piété ne proscrit point, quand on sait se contenir dans de justes bornes.

Elle se reprocha cependant depuis de porter trop loin ces complaisances. Elle trouva qu'elles entraînaient la perte d'un temps considérable. Elle sentait même que sa ferveur diminuait, et qu'insensiblement elle se laissait aller à une certaine dissipation. Elle résolut donc en 601, de ne plus abréger ses exercices de piété, sous quelque prétexte que ce fût, et de ne les omettre jamais, à moins qu'elle n'y fût forcée par des motifs de charité, d'une bienséance indispensable ou de quel qu’autre devoir essentiel. Le Baron de Chantal lui laissait une entière liberté. C'était un homme également rempli d'honneur et de religion. Il aimait tendrement son épouse, qui de son côté le payait d'un juste retour. Rien ne manquait au bonheur de l'un et de l'autre. Mais Dieu qui désirait régner sans partage dans le cœur de sa servante, voulut l'éprouver par le plus sensible des sacrifices.

La mort du baron de Chantal

Le Baron de Chantal relevait de maladie. Un de ses amis vint le voir au Château de Bourbilly. Il lui proposa pour le récréer une partie de chasse. Le Baron l'accepta et sortit avec un surtout de couleur de biche. Son ami qui était un peu éloigné de lui ne s'aperçut point qu'il s'était placé derrière des broussailles. Trompé par un faux jour, il le prend pour une bête fauve, et décharge sur lui son fusil. Le coup fut mortel. Le Baron vécut encore quelques jours, et reçut les Sacrements avec la plus tendre piété. Il se soumit à la volonté de Dieu avec une parfaite résignation. Il consola son ami qui s'abandonnait au désespoir. Il répéta plusieurs fois qu'il lui pardonnait, et il voulut que l'acte de ce pardon fût inscrit sur les registres de la Paroisse. Il y défendait à qui que ce fût d'attaquer ou de poursuivre son malheureux ami, auquel on ne pouvait imputer un accident involontaire. Il expira dans les bras de son épouse, dont il ne serait pas possible d'exprimer la désolation.

La baronne de Chantal fait un vœu de chasteté perpétuelle

La Baronne de Chantal resta veuve à vingt-huit ans. Elle avait eu six enfants, dont quatre vivaient encore, un garçon et trois filles. Quelque vive que fût sa douleur, elle la supporta avec une résignation et une constance admirables. Quelquefois elle était surprise elle-même de la manière dont le Seigneur la fortifiait contre le plus douloureux des événements. Elle s'offrait à Dieu comme une victime préparée à souffrir toutes les croix qu'il voudrait lui envoyer. Elle lui faisait le sacrifice entier de sa personne, et acceptait d'avance tous les coups dont il jugerait à propos de la frapper. Elle fit en même-temps vœu de chasteté perpétuelle. Elle trouvait de grands motifs de consolation dans la pensée qu'elle ne vivrait plus que pour Dieu, et elle aimait à répéter souvent ces paroles : Seigneur, vous avez brisé mes liens, je peux donc maintenant vous présenter une victime de louanges. Pour entrer parfaitement dans les vues de son mari, elle pardonna de tout son cœur à l'auteur de sa mort. Et afin de ne lui laisser aucun doute sur ses dispositions, elle lui rendait tous les services qui pouvaient dépendre d'elle. Elle voulut même tenir un de ses enfants sur les fonts de Baptême.

Nouveau plan de vie

La Baronne de Chantal se proposa un nouveau plan de vie, d'après les règles que saint Paul et les Pères ont tracées pour la sanctification des veuves. Elle passait en prières une partie des nuits. Elle augmenta ses aumônes, elle se défit en faveur des pauvres de ce qu'elle avait d'habits précieux, et s'obligea par un vœu de n'en plus porter que de laine. Elle renvoya la plus grande partie de ses domestiques, après les avoir libéralement récompensés de leurs services. Ses jeûnes étaient fréquents et rigoureux. Retirée du monde, elle partageait son temps entre la prière, le travail et l'instruction de ses enfants. Telle était sa ferveur, tel était le désir qu'elle avait d'être uniquement au Seigneur, qu'elle eût voulu pouvoir se cacher dans un désert, et n'avoir plus rien de commun avec le monde. Elle avoua même qu'elle avait eu le dessein d'aller finir ses jours dans la Terre sainte, et que la crainte seule de manquer à un devoir essentiel, en abandonnant quatre enfants en bas âge, l'avait empêché de l'exécuter.

Des visions de Jeanne-Françoise de Chantal

Mais il lui manquait un directeur qui pût la conduire dans les voies où elle devait marcher. Elle ne cessait de le demander à Dieu avec beaucoup de larmes. Un jour pendant la ferveur de son oraison, elle vit un homme en soutane noire avec un rochet et un camail. Une autre fois qu'elle priait dans un lieu écarté, elle eut un ravissement pendant lequel elle faisait d'inutiles efforts pour entrer dans une église voisine. Il lui fut alors donné à entendre que le feu de l'amour divin devait consumer en elle ce qu'il y avait encore d'imparfait, et qu'elle serait éprouvée par de grands troubles tant intérieurs qu'extérieurs. Ayant recouvré l'usage de ses sens, son cœur fut rempli d'une joie ineffable, de sorte qu'elle ne voyait plus dans les souffrances que l'aliment de l'amour divin sur la terre, et le gage du bonheur céleste.

Jeanne-Françoise de Chantal chez son père

L'année de son deuil expirée, elle se rendit auprès de son père à Dijon. Elle y continua le même genre de vie, et ne voulut recevoir de visites que de quelques dames vertueuses et avancées en âge. L'année suivante, des affaires de famille l'obligèrent de se retirer avec ses enfants auprès du vieux Baron de Chantal son beau-père, qui demeurait à Monthelon au Diocèse d'Autun. Elle eut beaucoup à souffrir de la mauvaise humeur du vieillard, ainsi que de celle d'une gouvernante qui le maîtrisait, et qui avait pris un tel ascendant sur son esprit, que toute la maison était forcée de lui obéir. La jeune Baronne supporta cette épreuve avec patience. Jamais on ne l'entendit se plaindre. Elle ne donnait pas même le moindre signe de mécontentement. Elle se prêtait avec la plus grande complaisance à tout ce qui était agréable à son beau-père et à sa gouvernante. Elle consacrait à la piété la plus grande partie de son temps, et se rendait les dimanches à Autun pour y assister aux instructions des prédicateurs.

Rencontre avec François de Sales

Sachant que saint François de Sales devait prêcher à Dijon le Carême de l'année 1605, elle forma la résolution d'aller entendre ce grand serviteur de Dieu. Elle allégua pour prétexte de ce voyage, une visite qu'elle se proposait de faire au Président Frémiot son père. La première fois qu'elle vit le saint évêque, elle fut singulièrement édifiée. Elle crut reconnaître cet homme qui lui était apparu pendant son oraison, et il lui semblait que c'était le directeur qu'elle cherchait depuis longtemps. L'évêque avait eu également une vision où Dieu lui avait fait connaître ses desseins sur la Baronne de Chantal. Celle-ci l'entretint plusieurs fois chez son père où il venait souvent. Elle prit en lui une entière confiance, et ne lui parlait jamais qu'elle n'éprouvât les plus vifs sentiments de piété. Elle ne désirait rien tant que de le consulter sur les dispositions intérieures de son âme. Mais elle se faisait un scrupule de lui ouvrir son cœur, parce qu'un religieux qui la dirigeait lui avait fait promettre, même par vœu, de s'en rapporter à lui seul sur sa conduite spirituelle. D'un autre côté, les discours de l'évêque de Genève la touchaient vivement. Elle se conformait à ses avis, même dans les plus petites choses, et sa docilité était toujours suivie de consolations extraordinaires.

Troubles et inquiétudes alarmantes de Jeanne-Françoise de Chantal

Enfin elle lui découvrit la cause de ses perplexités. Il fut décidé que le vœu qu'on lui avait fait faire était indiscret, et qu'elle pouvait en être dispensée. Alors elle se confessa au saint évêque de Genève, et elle lui fit même une confession générale de toute sa vie. Mais bientôt la paix de son âme fut troublée par des désolations intérieures. Elle eut des inquiétudes alarmantes sur sa conduite. Saint François de Sales lui apprit à profiter de cette épreuve, en sorte que la lumière prit la place des ténèbres, et que le calme succéda à l'orage. Il lui apprit encore à régler tellement ses exercices de piété, que son extérieur parût dépendre de la volonté des autres, surtout lorsqu'elle était chez son père ou son beau-père. Sa conduite réunissait tous les suffrages, et ceux qui vivaient avec elle, avaient coutume de dire : « Madame prie continuellement : mais elle n'est incommode à personne ».

Générosité, douceur et prière

Elle se levait à cinq heures, et toujours sans feu. Elle s'habillait elle-même, et n'appelait aucune des femmes attachées à son service. Après dîner, elle faisait une lecture spirituelle d'une demi-heure. Le soir, elle expliquait les devoirs de la religion à ses enfants. Elle donnait aussi ses soins à l'instruction de quelques autres enfants. Elle se remettait à la lecture, et récitait le Chapelet avant le souper. A neuf heures, elle se retirait et faisait la prière avec toute sa maison. Après quoi elle priait encore longtemps seule. Dans quelque circonstance qu'elle se trouvât, elle ne perdait point de vue la présence de Dieu. A table, elle évitait tout ce qui pouvait flatter la sensualité ; mais elle avait soin de cacher qu'elle agissait par un motif de mortification. Elle portait un cilice sous ses habits qui étaient fort simples. Elle visitait les pauvres malades, et passait les nuits entières auprès de ceux qui étaient à l'extrémité, afin de les exhorter à mourir saintement. Elle entretint longtemps une pauvre femme toute couverte d'ulcères. Elle la pansait elle-même, et lui rendait les services les plus humiliants. Sa douceur inaltérable montrait combien elle était maîtresse de ses passions et de tous les mouvements de son cœur. Une dévotion aussi solide la faisait également aimer de Dieu et des hommes. Ses entretiens avec saint François de Sales, qu'elle allait voir de temps en temps à Annecy, augmentaient en elle le détachement du monde. Tous les matins, elle renouvelait la résolution qu'elle avait prise de ne plus aimer que Dieu, et de lui consacrer sans partage ses désirs, ses pensées, ses actions. Il lui arriva même, dans sa ferveur, de graver sur son cœur avec un fer chaud le nom sacré de Jésus, pour prouver qu'elle ne respirerait plus que pour sa gloire.

Le projet d'établir une nouvelle congrégation

Plus elle se détachait du monde, plus elle recevait de consolations et de lumières surnaturelles. Les vérités de la religion se présentaient à elle sous un jour plus éclatant, et telles qu'elle ne les avait jamais vues. Il lui tardait d'être entièrement affranchie des liens qui l'attachaient encore aux choses de la terre. Elle fit connaître son attrait à saint François de Sales, qui demanda du temps pour consulter le Ciel. Enfin il lui proposa d'entrer dans divers ordres religieux. La Baronne lui répondit que c'était à lui de décider ; qu'elle marcherait dans la voie qu'il lui indiquerait, et qu'elle ne cherchait que la plus grande gloire de Dieu. Le saint évêque ne lui laissa plus ignorer le projet qu'il avait formé d'établir une nouvelle congrégation, sous le nom de la Visitation de sainte Marie. La pieuse veuve y applaudit avec joie ; mais l'exécution lui en paraissait bien difficile. Son père et son beau-père étaient fort âgés : comment les quitter ? Ses enfants encore jeunes pouvaient-ils se passer de ses soins ? Ne devait-elle pas veiller à l'administration de leurs biens ? C'étaient là autant de devoirs de justice dont l'accomplissement n'était pas facile à concilier avec ses vues. Dieu demande-t-il autre chose, sinon que chacun se sanctifie dans l'état où la providence l'a placé ? Quelques-uns même prétendaient qu'elle ne pouvait remplir ses devoirs à l'égard de ses enfants, à moins qu'elle ne restât dans le monde. Mais saint François de Sales montra qu'il lui serait possible de veiller à leur éducation dans un Cloître, et qu'elle le ferait même d'une manière plus utile pour eux. Cette difficulté, qui était la principale, ayant été levée, son père et son beau-père consentirent à sa retraite, après avoir toutefois versé beaucoup de larmes. Comme elle avait le cœur très-sensible, elle eut de rudes combats à soutenir : mais l'amour divin l'éleva au-dessus des sentiments de la nature. Ses autres parents et ses amis cessèrent en même temps de s'opposer à sa résolution.

L'organisation du départ

Avant de quitter le monde, la Baronne de Chantal maria l'aînée de ses filles au Baron de Thorens, neveu de l'évêque de Genève, et ce mariage eut l'approbation des deux familles. Elle emmena avec elle ses deux autres filles ; l'une mourut peu de temps après ; l'autre épousa plus tard le Comte de Toulonjon qui joignait à la naissance beaucoup de sagesse et de vertu. Quant au jeune Baron de Chantal, alors âgé de quinze ans, le président Frémiot son grand-père se chargea d'achever son éducation, et l'administration de ses biens fut confiée à des tuteurs remplis d'intelligence et de probité. Ainsi la présence de sa mère ne lui était plus nécessaire.

La séparation de la famille

Les arrangements pris par la pieuse veuve lui avaient obtenu le consentement de son père, de son beau-père, et de l'archevêque de Bourges son oncle. Mais quand ils furent sur le point de se séparer d'elle, ils n'écoutèrent plus que leur tendresse, et firent de nouveaux efforts pour l'empêcher d'exécuter son dessein : mais rien ne put l'ébranler. Lorsqu'elle fit ses adieux à son beau-père, elle se jeta à ses genoux, pour le prier de lui pardonner les fautes par lesquelles elle avait pu l'offenser. Elle lui demanda ensuite sa bénédiction et son amitié pour son fils. Le vieux Baron de Chantal, alors âgé de quatre-vingt-six ans, fut inconsolable. Il embrassa tendrement sa belle-fille, et lui souhaita le bonheur qu'elle méritait. Les habitants de Monthelon, et surtout les pauvres, fondaient en larmes et poussaient des cris lamentables. Le départ de la pieuse veuve leur annonçait qu'ils allaient perdre une mère. Elle les consola; puis les ayant exhortés à servir Dieu, elle se recommanda à leurs prières. Elle partit ensuite pour Autun avec le Baron et la Baronne de Thorens, son fils, sa seconde fille, et quelques autres personnes. Arrivée à Dijon, elle fit également ses adieux à ceux qu'elle connaissait particulièrement. Elle exigea de son père qu'il lui donnât aussi sa bénédiction, et le conjura de prendre soin de son fils qu'elle lui confiait. Le Président Frémiot, accablé de douleur et baigné de larmes, s'écria : « O mon Dieu, il ne m'est pas permis de m'opposer à l'exécution de vos desseins, quoiqu'il doive m'en coûter la vie. Je vous offre, Seigneur, cette chère enfant ; daignez la recevoir et être ma consolation ». Il lui donna ensuite sa bénédiction; et l'ayant relevée, il la serra tendrement dans ses bras. Le jeune Baron de Chantal, suffoqué par ses sanglots, courut vers sa mère, se jeta à son cou, et employa les expressions les plus touchantes pour la retenir. Il ne se rebuta point de l'inutilité de ses efforts. Il se coucha sur le seuil de la porte par où elle devait passer. La baronne, frappée d'un tel spectacle, s'arrêta et fixa sur son fils ses yeux baignés de larmes. Mais bientôt elle lui passa sur le corps, et franchit ainsi la barrière qui lui était opposée. On doit sentir combien il lui fallut de courage pour une action aussi extraordinaire. Mais elle crut qu'après s'être assurée de sa vocation, il était de son devoir de la suivre, et qu'il ne lui était plus permis de différer son sacrifice.

L'arrivée à Annecy

Elle partit pour Annecy, où elle arriva heureusement. Elle conduisit le baron et la baronne de Thorens à leur Château, et passa quelques jours avec eux. De retour à Annecy, elle y commença l'établissement de son Institut, le dimanche de la Trinité de l'année 1610. La maison lui fut donnée par le saint Evêque de Genève. Elle y prit l'habit avec deux femmes pieuses qui s'étaient attachées à elle. Dix autres femmes vinrent bientôt augmenter le nombre de la Communauté naissante. Le Cardinal de Marquemont, archevêque de Lyon, ayant conseillé à saint François de Sales de changer le plan de sa Congrégation, et de l'ériger en Ordre religieux, pour lui donner plus de stabilité, la baronne de Chantal et ses compagnes firent des vœux solennels.

La règle donnée par François de Sales

L'évêque de Genève leur donna une règle toute fondée sur la douceur et l'humilité. Voici comment il s'exprimait sur ce sujet « Que l'humilité soit la source des vertus, qu'elle soit sans bornes, qu'elle paraisse en toutes vos actions, et que la douceur envers le prochain vous devienne naturelle à force de la pratiquer ». Il donna d'excellentes instructions sur la prière, qui est le fruit le plus précieux et la fin principale de la vie religieuse. Il voulait que ses filles spirituelles assistassent au saint sacrifice de l'autel avec les dispositions les plus parfaites. Il disait à la bienheureuse mère : « La Messe est le soleil des exercices spirituels, le cœur de la dévotion, le centre du Christianisme. Unissez votre cœur à l'Église triomphante qui se joint à notre Seigneur pour avec lui, en lui et par lui, ravir le cœur de Dieu son père ». Il inculquait fortement la nécessité de la mortification des sens. Il concluait de ce que la chair participe au péché de nos premiers pères, et qu'elle est continuellement révoltée contre l'esprit, qu'il fallait la châtier, la soumettre, la crucifier. Les sens, ajoutait-il, étant les avenues de l'âme et des instruments qui enflamment les passions, on ne peut les gouverner que par une attention extrême à réprimer leurs saillies. C'est d'après ces principes que la mortification extérieure nous est si expressément recommandée dans l'Evangile. Saint François de Sales cependant ne prescrivit point dans sa règle de grandes austérités, afin qu'elle fût à la portée des tempéraments les plus faibles, et que ses filles ne tombassent point dans le relâchement, en se faisant accorder des mitigations sous divers prétextes. Mais il y suppléa par la pratique des petits renoncements, qui par leur continuité mortifient sans cesse les sens. Il avait remarqué que souvent, dans les instituts les plus austères, on ne suivait point l'esprit de sa vocation, et qu'on se faisait illusion par des dispenses dont le motif n'était pas toujours suffisant. Si la règle qu'il proposa était sous ce rapport moins rigoureuse que beaucoup d'autres, et en apparence plus facile à pratiquer, elle ne souffrait aussi aucun adoucissement dans ce qui tenait à l'essentiel de la mortification intérieure de la volonté et des passions. Elle enseignait conséquemment de la manière la plus efficace le grand art de mourir à soi-même. Saint François de Sales disait à ses filles : « Nous devons mourir afin que Dieu puisse vivre en nous. Il est impossible de parvenir par d'autres moyens à l'union de nos mes avec Dieu. Ces paroles paraissent dures : mais aussi quelle consolation de savoir que par cette mort nous devons être unis au souverain bien » ! Il leur apprenait que, pour mourir à soi-même, il fallait obéir à ses supérieurs avec promptitude et docilité, se résigner parfaitement à la volonté divine, ne rien demander, ne rien refuser, ne se troubler jamais dans quel qu’événement que ce fût. Il disait : « Vous me demandez ce que je désire graver le plus profondément dans votre âme ? Ah! Que vous dirai-je, mes chères filles, » autre chose que ces deux mots ? Ne rien désirer, ne rien refuser. Ceci comprend la parfaite doctrine de l'indifférence de la volonté. Voyez l'Enfant Jésus dans la crèche. Il ne refuse ni le froid, ni la pauvreté, ni la nudité, ni la compagnie des bêtes, ni les rigueurs de la saison, ni tout ce que son père a permis..... ll ne refuse pas non plus les petites consolations que sa mère lui procure..... Ainsi devons-nous recevoir également tout ce qui nous arrive par l'ordre de la Providence ... ».

La conduite de la communauté

C'était d'après ces différentes maximes que notre sainte réglait sa conduite et celle de ses sœurs. Elle ne les croyait vraiment humbles que quand elle les voyait aimer les réprimandes et les corrections. Elle les exhortait à achever par une fervente prière l'œuvre qu'elles avaient commencé par l'humilité, et le renoncement. Elle leur apprenait la pratique des oraisons jaculatoires, par le moyen desquelles elles pouvaient faire mille fois le jour des actes de charité, s'offrir continuellement à Dieu, et lui rapporter toutes leurs actions. Son exactitude à observer et à faire observer aux autres tout ce qui concernait le service divin était en quelque sorte porté jusqu'au scrupule. Ayant un jour entendu du bruit dans une chambre située au-dessus de la chapelle où le Saint-Sacrement était exposé, elle voulut réparer ce défaut de respect ou d'attention, et pour cela elle demanda pardon à Dieu pour ses sœurs assemblées au Réfectoire, et leur baisa les pieds. Après quoi elle mangea à terre : ce qui est une pénitence prescrite dans plusieurs maisons religieuses. Si quelque sœur différait de se lever au son de la cloche, elle l'en reprenait publiquement, et lui disait avec larmes : « Si nous pensions que c'est la voix de Dieu qui nous appelle pour lui rendre » nos hommages, nous ne tarderions pas un instant ». Mais nous ne finirions pas si nous voulions entrer dans le détail des leçons et des exemples de vertu que la Sainte donnait à sa communauté. Quelque temps après sa profession religieuse, elle voulut s'engager par un vœu à faire toujours ce qu'elle jugerait être plus parfait. Saint François de Sales qu'elle consulta le lui permit, parce qu'il connaissait sa ferveur, et qu'il ne doutait pas qu'elle n'accomplît avec fidélité l'engagement qu'elle contractait. Nous avons observé ailleurs qu'on ne doit permettre un pareil vœu qu'à quelques âmes choisies et qui sont consommées dans la vie intérieure(3).

Les maladies et souffrances

La mère de Chantal fut souvent affligée de maladies douloureuses. Les Médecins qui ne voyaient point de cause naturelle de son état, disaient quelquefois que sa maladie était produite par l'ardeur de l'amour divin qui la consumait. Elle parlait ainsi dans une de ses lettres à saint François de Sales : « Le monde entier mourrait d'amour pour un Dieu si aimable, s'il connaissait la douceur que goûte une âme à l'aimer ». Elle éprouva aussi quelque temps de grandes peines intérieures, qui étaient causées par une crainte excessive d'offenser Dieu. Mais elle nous apprend elle-même qu'au milieu de ces épreuves, elle recevait fréquemment des consolations extraordinaires.

La mort de son père et la fondation de communautés

Après la mort de son père, elle fit un voyage à Dijon. Elle passa quelques mois dans cette ville pour arranger les affaires de son fils, avant de le mettre à l'Académie. Elle le maria ensuite à Marie de Coulanges, qui réunissait une grande vertu à la naissance, aux richesses et à la beauté. Elle fut encore obligée de quitter souvent Annecy, pour aller fonder des maisons de son Ordre en différentes villes, notamment à Grenoble, à Bourges, à Dijon, à Moulins, à Nevers, à Orléans et à Paris. On excita contre elle une violente persécution dans cette dernière ville : mais elle en triompha par sa confiance en Dieu. D'ailleurs sa douceur et sa patience lui attirèrent l'admiration de ceux qui avaient été ses plus grands ennemis. Elle gouverna la maison qu'elle avait fondée à Paris dans le faubourg Saint Antoine, depuis l'année 1619, jusqu'à l'année 1633. Peu de temps après Dieu lui enleva son bienheureux père, l'évêque de Genève. Cette perte lui fut sans doute bien sensible : mais elle était si accoutumée à adorer en tout la volonté divine, qu'elle la supporta avec une constance admirable. Elle fit rendre les plus grands honneurs au corps du saint évêque, qui fut enterré dans l'Eglise de la Visitation d'Annecy

La mort de membres de sa famille

Cette perte fut suivie d'une autre. En 1637, le Baron de Chantal fut tué en combattant contre les Huguenots dans l'Isle de Rhé. Mais il s'était préparé à la bataille par la réception des Sacrements. Il était dans la trente et unième année de son âge, et laissait une fille qui n'avait point encore un an(4). La Sainte à cette nouvelle, qui fit répandre des larmes à tous ceux qui étaient présents, montra un courage si héroïque, qu'on en fut dans le plus grand étonnement. Elle avait coutume dans les accidents imprévus d'offrir son cœur à Dieu, en lui disant : « Seigneur, détruisez, coupez, brûlez tout ce qui s'oppose à votre sainte volonté ».

Elle se vit enlever, en 1641, la baronne de Chantal sa belle-fille. A peine eut-elle appris cette nouvelle, qu'on lui annonça la mort du Comte de Toulonjon son gendre, qu'elle aimait tendrement, et qui était gouverneur de Pignerol. Elle oublia sa douleur pour ne penser qu'à celle de la comtesse sa fille, et elle mit tout en œuvre pour la consoler.

Ce que disait Jeanne-Françoise de Chantal du renoncement

Toutes ces épreuves, ainsi que les désolations intérieures dont nous avons parlé, ne servirent qu'à faire briller d'un nouveau lustre la sainteté de la mère de Chantal. Elles lui apprirent à se vaincre parfaitement elle-même, et à faire triompher la partie supérieure de son âme, de la partie inférieure. De là ces leçons qu'elle donnait continuellement à ses sœurs sur la nécessité du renoncement à toutes les choses créées. Elle disait : « Notre Seigneur a attaché le prix de son amour et de la gloire éternelle, à la victoire que nous remporterons sur nous-mêmes. Votre intention, en venant à la Visitation, a dû être de vous désunir de vous-mêmes pour vous unir à Dieu. C'est un petit champ où, si l'on ne meurt à soi-même, on ne portera point de fruit. Vous ne serez épouse de Jésus-Christ, qu'autant que vous crucifierez votre jugement, votre volonté et vos inclinations pour vous conformer à lui. Cet époux de vos cœurs vous fait monter, et vous attire sur le Calvaire, où, couronné d'épines, il se laisse dépouiller, clouer, abreuver de fiel, charger d'opprobres, où il souffre en un mot pour vous mille et mille tourments horribles. Il faut donc que vous y demeuriez de bon cœur, et que vous tâchiez de l'imiter par une entière conformité, laquelle consiste en deux choses : la première est de vous détacher de vous-mêmes, et d'aspirer avec zèle à la perfection. Nous venons du monde toutes rudes, mal polies et pleines de mauvaises inclinations qu'il faut retrancher ; autrement nous ne pourrons jamais nous rendre conformes à celui qui est saint et parfait. La seconde chose est de vous laisser mortifier, plier et lier par une entière résignation, et un entier abandon de vous-mêmes entre les mains de ceux qui vous conduisent, et de leur obéir avec simplicité. Qu'ils vous frappent où vous le sentirez mieux. Si vous résistez, vous ne serez point épouses de Jésus-Christ, et vous n'arriverez jamais à la perfection. Au contraire, si vous vous renoncez de bon cœur, vous trouverez une douceur incomparable au service de Dieu, et vous ferez vos délices de surmonter la nature, pour établir le règne de la grâce. C'est la récompense promise à ceux qui vaincront. Je leur donnerai, dit le Seigneur, une manne cachée, et dès qu'ils en auront goûté, ils n'auront plus que du mépris pour tous les délices de la terre. Mais sachez qu'il faut avoir vaincu pour goûter cette manne. Elle n'est pas pour les lâches. Elle est réservée pour les âmes fortes et courageuses, qui se déterminent à sacrifier tout ce qui s'oppose à la volonté de Dieu, qui donnent tout, qui ne laissent rien en vie, qui font mourir toute mauvaise intention ; à ce titre tout sera pour elles. Mais cette violence doit être douce et tranquille, en même temps qu'elle sera ferme et constante. O mes filles ! Tuez hardiment et courageusement votre ennemi. Par sa mort, vous acquérerez la paix et la vie de votre âme. J'en connais une qui par cette méthode a fait des progrès incroyables, et qui a bien plus avancé en peu de temps, que plusieurs autres moins déterminées à la mortification ». Dans une autre circonstance, elle déplorait avec amertume l'aveuglement de quelques âmes qui, par leur immortification, perdent presque tout le fruit de leurs exercices ; qui, se laissant même séduire par une régularité apparente, tombent dans l'orgueil, et s'imaginent être dans un état dont elles sont bien éloignées.

Les fruits d'un bon cœur

On lui écrivit un jour pour lui demander ce qu'elle pensait d'une personne religieuse qui semblait vivre dans une grande vertu, et qu'on disait recevoir de Dieu des grâces extraordinaires. Voici ce qu'elle répondit : « Vous m'avez envoyé les feuilles de l'arbre ; envoyez-moi aussi quelques-uns de ses fruits, afin que je puisse en juger : car je me mets peu en peine des feuilles. Tout ce que je peux dire présentement, c'est que les fruits d'un bon cœur, que Dieu arrose et nourrit de sa grâce, sont un oubli total de soi-même, un grand amour des humiliations, une joie universelle de tout le bien qui se fait pour la gloire de Dieu ».

La manière de prier, de faire oraison

La mère de Chantal, après avoir instruit ses filles de la nécessité de mourir à soi-même et de crucifier toutes les inclinations de la nature, leur enseignait la meilleure manière de faire oraison. Elle leur conseillait d'exciter en elles de pieuses affections, et de former des résolutions d'être toutes à Dieu. Mais elle voulait que chacune suivît les mouvements de sa propre dévotion, et se livrât aux sentiments que le Saint-Esprit lui inspirerait. Elle les exhortait toutes à la persévérance. Elle disait : « Si vous êtes troublées, par des distractions, faites l'oraison de patience et d'humilité : priez Dieu d'être votre soutien, de vous donner le désir de l'aimer, de le prier, et autres choses semblables ». Elle insistait souvent sur la prière continuelle. Elle disait : « Notre cœur doit toujours prier et aimer, quelque chose que nous fassions ». Elle mit par écrit une prière dont elle se servait dans les temps de sécheresse intérieure. C'était un recueil d'actes d'amour, de louanges, d'actions de grâces, de componction, de demandes pour elles, pour ses amis et ses ennemis, pour les pécheurs, pour les morts, et pour toutes les choses qu'elle désirait obtenir de Dieu. Nuit et jour, elle portait à son cou le papier où était cette prière, et elle le pressait souvent sur son cœur, comme pour exprimer son intention de répéter sans cesse les différents actes qu'il contenait, avec toute la ferveur dont elle était capable.

La peste

La peste ayant fait sentir ses ravages à Annecy, le Duc et la Duchesse de Savoie voulurent engager la mère de Chantal à quitter cette ville pour mettre sa vie en sûreté ; mais rien ne put lui faire abandonner son cher troupeau. Elle fut fort utile à toute la ville par ses exhortations, ses aumônes et ses prières. La contagion ne pénétra point jusqu'à sa Communauté, et aucune de ses filles n'en mourut.

La mort de Jeanne-Françoise de Chantal

En 1648, la Duchesse de Savoie la fit venir à Turin pour établir une maison de son Ordre. Peu de temps après, Anne d'Autriche, Reine de France, l'appela à Paris. Les honneurs qu'on lui rendit dans cette ville firent beaucoup souffrir son humilité. En retournant à Annecy, elle visita plusieurs de ses monastères. Arrivée à Moulins, elle y fut prise de la fièvre. Bientôt la maladie se déclara : c'était une inflammation de poitrine. Elle reçut les Sacrements avec les plus vifs sentiments de piété ; puis, après avoir donné ses dernières instructions à ses filles spirituelles, elle s'endormit dans le Seigneur, le 14 Décembre 1651. Son corps fut conduit honorablement à Annecy, où il est exposé à la vénération des fidèles.

Les visions de saint Vincent de Paul

Saint Vincent de Paul qui avait été son con fesseur à Paris, fut averti par une vision qu'elle jouissait dans le ciel de la gloire des Bienheureux. Il en fit part à l'Archevêque de Paris, et à plusieurs autres personnes recommandables par leur piété et par leurs lumières. Il dressa, sur leur avis, un procès-verbal de ce qui s'était passé ; mais il n'y parlait qu'en troisième personne. S'il s'écarta de la loi qu'il s'était faite de ne jamais découvrir les grâces extraordinaires que Dieu lui accordait, ce fut uniquement pour rendre témoignage à l'éminente sainteté de la mère de Chantal. Au reste cette vision est donnée comme certaine dans la Bulle de la Canonisation de la servante de Dieu. Voici ce que porte le procès-verbal. Lorsqu'on eut appris, par les nouvelles publiques, la maladie de la mère de Chantal, saint Vincent de Paul se mit à genoux, afin de prier pour elle. A peine avait-il fini, qu'il aperçut comme un petit globe de feu qui s'élevait de terre, et qui alla se joindre, dans la région supérieure de l'air, à un autre globe plus grand et plus lumineux. Ces deux globes qui, par leur réunion, n'en firent plus qu'un, continuèrent de monter en haut, et se perdirent dans un troisième, qui était immense et beaucoup plus brillant que les autres. Alors une voix intérieure dit à Vincent que le premier globe était l'âme de la vénérable mère de Chantal, le second celle du bienheureux évêque de Genève, et le troisième l'Essence divine. Quelques jours après, il apprit la mort de la mère de Chantal. Il crut avoir aperçu, dans les derniers entretiens qu'il avait eus avec elle, certaines paroles qui semblaient tenir du péché véniel. Ainsi, quoiqu'il l'eût toujours regardée comme une grande servante de Dieu, il pria pour elle avec ferveur. Dans l'instant même il eut pour la seconde fois la même vision. Il ne douta plus alors que la mère de Chantal ne fût dans la gloire avec le Seigneur(5). Plusieurs miracles opérés par son intercession ayant été juridiquement constatés, elle fut béatifiée par Benoît XIV en 1761. Clément XIII la canonisa en 1767, et fixa sa fête au 31 d'Août.

Le message de Jeanne-Françoise de Chantal : humilité, la douceur, la charité

Jeanne-Françoise de Chantal, dans les instructions qu'elle donnait à ses sœurs, revenait souvent sur l'humilité, la douceur, la charité. Elle disait(6) : « L'humilité, consiste en ce point. Quand les autres nous humilient, humilions-nous nous-mêmes, encore davantage. Quand les autres nous accusent, ajoutons encore à leurs accusations. Quand on nous emploie aux fonctions les plus basses, reconnaissons sincèrement qu'on nous fait encore plus de grâce que nous ne le méritons. Quand on nous méprise, soyons contentes. Une Religieuse ne peut donner une marque plus évidente d'orgueil et d'incapacité, que de se croire capable de quelque chose. C'est faire une grande injure à l'Esprit de Dieu, que de s'élever soi-même, ou de tomber par vanité dans l'ostentation. Il vaudrait mieux demander que le feu du ciel tombât sur nous, que de nous rendre coupables de ce vice. Je voudrais pouvoir graver cette maxime avec mon sang. Je consentirais que mes lèvres fussent percées d'un fer rouge, à condition qu'il n'échappât point aux personnes religieuses un seul mot contraire à l'humilité ». Elle voulait qu'on travaillât constamment à acquérir la douceur ; que la pratique en devînt comme naturelle ; et que cette vertu fût tellement enracinée dans l'ame, que rien n'y pût porter la moindre atteinte. Si elle était obligée de reprendre et de corriger, elle le faisait avec tant de bonté et de charité, qu'elle ne mécontentait personne. Elle souffrait, avec une patience admirable, les outrages qui lui étaient personnels, et ne se vengeait de ses ennemis que par des bienfaits. Elle exhortait ses sœurs à se supporter mutuellement, et à s'entr'aimer avec tendresse. Pour donner plus de force à ses discours, elle leur rappelait souvent à quelle école elles avaient été formées. Elle leur disait : « Avec qui Jésus-Christ a-t-il conversé ? Avec un traître qui l'a vendu, avec un voleur qui l'a outragé sur la croix, avec des pécheurs, avec des Pharisiens orgueilleux. Pourrons-nous, à la moindre contradiction, montrer que nous n'avons ni charité, ni patience ? » Elle ne cessait de répéter que c'était un crime énorme de parler contre le prochain, surtout lorsqu'on le faisait par un motif d'envie ou de vengeance. Souvent elle disait que quiconque se rendait coupable de ce péché, méritait d'avoir la langue coupée.

Sources
  • Vies des pères des martyrs et des autres saints écrit en anglais par Alban Butler traduit par l'abbé Godescard chanoine saint Honoré Tome VII
    Tiré de sa vie par Henri de Maupas du Tour, par Louise de Rabutin, qui épousa successivement M. de Daletz et M. de la Riviere, et par Marsollier, Chanoine d'Usez.
    L'Ouvrage de Louise de Rabutin a été faussement attribué à son père Roger de Rabutin, Comte de Bussy, si connu par les égarements de sa jeunesse, qu'il répara depuis par une vie chrétienne et pénitente. Voyez encore deux vies abrégées de la Sainte, imprimées en 1768, la Bulle de sa canonisation, et les vies des premieres Religieuses et Supérieures de la Visitation par la mere de Chaugy.
  • La vie de sainte Frémiot de Chantal fondatrice de l'ordre de la Visitation de Sainte Marie

Notes

(1) Il était Fils de René Frémiot, qui occupait une des premières Charges du Parlement de Dijon. Ce Magistrat, à l'âge de 76 ans, comme s'il eût été averti du jour de sa mort, alla voir, la veille, ses parents et ses amis, leur dit le dernier adieu, revint chez lui, se mit au lit, reçut les Sacrements et mourut. Bénigne Frémiot, son Fils, avait été avocat Général Retour

(2) Le Président Fremiot soutint seul le parti du Roi contre le Parlement et toute la Province, au péril même de la vie de son Fils unique qu'on tenait prisonnier, et dont on menaça de lui envoyer la tête, s'il ne se rangeait du côté des rebelles. Il répondit qu'il aimait mieux voir son fils mourir innocent, que de se rendre coupable lui-même, en trahissant son Pieu et son Prince. Retour

(3) Voyez les Vies de sainte Thérèse et de saint André Avellin. Retour

(4) Elle épousa depuis Henri, Marquis de Sévigné. Elle s'est rendue célèbre par ses lettres où l'on admire la beauté de l'imagination, la délicatesse du goût, la solidité du jugement, un style naturel, facile, plein d'esprit et de dignité. On distingue surtout celles qu'elle écrivit à la Comtesse de Grignan sa fille. Les lettres qu'on a depuis données sous son nom ne sont point d'elle, du-moins en grande partie. La Marquise de Sévigné mourut le 15 Janvier 1696. On a dit d'elle qu'elle était le modèle et le désespoir de ceux qui suivent la même carrière. Retour

(5) Voyez la Vie de S. Vincent de Paul par Collet, T. t. p. 449. | sa Vie par Maupas et la bulle de la canonisation de la Sainte. Retour

(6) Voyez ses Maximes dans sa Vie par Maupas et Marsollier. Retour